Le premier récit de la création de l’homme

Bonjour. Dans ce billet nous allons voir le premier récit de la création de l’homme et terminer le sixième jour, ce qui terminera également le premier chapitre de la Genèse. Il y a en tout, en comptant celui-ci, trois récits de la création de l’homme. Celui-ci au chapitre 1, puis un deuxième au chapitre 2, et un troisième au chapitre 5. Il faut bien comprendre que l’homme n’a pas été créé trois fois, mais bien une seule fois, et que ces trois récits sont trois éclairages différents du même événement. Le récit biblique n’est pas organisé de façon strictement chronologique. Le chapitre 2 se passe chronologiquement à l’intérieur du sixième jour du chapitre 1. La Bible ne se soumet pas à la chronologie car Dieu n’est pas soumis au temps. Sa parole ne saurait l’être davantage.

Les versets en français courant :

26 Puis Dieu dit: Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.
27 Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme.
28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.
29 Et Dieu dit: Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence: ce sera votre nourriture.
30 Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Et cela fut ainsi.
31 Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le sixième jour.

Les versets en hébreu :

26 וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֔ים נַֽעֲשֶׂ֥ה אָדָ֛ם בְּצַלְמֵ֖נוּ כִּדְמוּתֵ֑נוּ וְיִרְדּוּ֩ בִדְגַ֨ת הַיָּ֜ם וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֗יִם וּבַבְּהֵמָה֙ וּבְכָל־הָאָ֔רֶץ וּבְכָל־הָרֶ֖מֶשׂ הָֽרֹמֵ֥שׂ עַל־הָאָֽרֶץ׃
27 וַיִּבְרָ֨א אֱלֹהִ֤ים׀ אֶת־הָֽאָדָם֙ בְּצַלְמ֔וֹ בְּצֶ֥לֶם אֱלֹהִ֖ים בָּרָ֣א אֹת֑וֹ זָכָ֥ר וּנְקֵבָ֖ה בָּרָ֥א אֹתָֽם׃
28 וַיְבָ֣רֶךְ אֹתָם֮ אֱלֹהִים֒ וַיֹּ֨אמֶר לָהֶ֜ם אֱלֹהִ֗ים פְּר֥וּ וּרְב֛וּ וּמִלְא֥וּ אֶת־הָאָ֖רֶץ וְכִבְשֻׁ֑הָ וּרְד֞וּ בִּדְגַ֤ת הַיָּם֙ וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֔יִם וּבְכָל־חַיָּ֖ה הָֽרֹמֶ֥שֶׂת עַל־הָאָֽרֶץ׃
29 וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֗ים הִנֵּה֩ נָתַ֨תִּי לָכֶ֜ם אֶת־כָּל־עֵ֣שֶׂב׀ זֹרֵ֣עַ זֶ֗רַע אֲשֶׁר֙ עַל־פְּנֵ֣י כָל־הָאָ֔רֶץ וְאֶת־כָּל־הָעֵ֛ץ אֲשֶׁר־בּ֥וֹ פְרִי־עֵ֖ץ זֹרֵ֣עַ זָ֑רַע לָכֶ֥ם יִֽהְיֶ֖ה לְאָכְלָֽה׃
30 וּֽלְכָל־חַיַּ֣ת הָ֠אָרֶץ וּלְכָל־ע֨וֹף הַשָּׁמַ֜יִם וּלְכֹ֣ל׀ רוֹמֵ֣שׂ עַל־הָאָ֗רֶץ אֲשֶׁר־בּוֹ֙ נֶ֣פֶשׁ חַיָּ֔ה אֶת־כָּל־יֶ֥רֶק עֵ֖שֶׂב לְאָכְלָ֑ה וַֽיְהִי־כֵֽן׃
31 וַיַּ֤רְא אֱלֹהִים֙ אֶת־כָּל־אֲשֶׁ֣ר עָשָׂ֔ה וְהִנֵּה־ט֖וֹב מְאֹ֑ד וַֽיְהִי־עֶ֥רֶב וַֽיְהִי־בֹ֖קֶר י֥וֹם הַשִּׁשִּֽׁי׃ פ

Traduction la plus littérale possible :

26 : Elohim dit : faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance ! Et ils commanderont au poisson de la mer, et l’oiseau des cieux, et à l’animal et à toute la terre, et à tout reptile rampant sur la terre.
27 : Elohim créa l’homme à son image. A l’image de Elohim Il le créa. Mâle et femelle il les créa.
28 : Elohim les bénit, Elohim leur dit : fructifiez et multipliez, et remplissez la terre et conquérez là ! Commandez au poisson de la mer et à l’oiseau des cieux, et à tout animal rampant sur la terre !
29 : Elohim dit : voici, je vous ai donné toute herbe semant semence qui [est] sur la face de toute la terre, et tout arbre [qui] a en lui fruit d’arbre, semant semence. Ce sera pour vous nourriture,
30 : et à tout animal de la terre et à tout oiseau des cieux, et à tout rampant sur la terre en qui [est] une âme vivante, toute verdure d’herbe [sera] pour nourriture. Il fut ainsi.
31 : Elohim vit tout ce qu’il avait fait, et voici, [c’était] très bon, il fut soir, il fut matin, jour le sixième.


Nous voyons que Dieu a créé l’homme en tout dernier. C’est le sommet de la création. Le joyau de la couronne. Le chapitre 1 nous révèle cette suprématie dans l’ordre du créé et le chapitre 2 nous révélera que Dieu voyait en l’homme un intendant de sa création : une domination, une gestion bienfaisante, en harmonie avec le plan de Dieu.
Toute première chose : puis Dieu dit : faisons. On retrouve ici le même genre de bizarrerie grammaticale que dans le tout premier verset : Elohim, le nom de Dieu est un nom pluriel et le verbe bara pour créer est conjugué au singulier. Ici, nous avons Elohim pluriel, dit, verbe au singulier, faisons impératif pluriel. Il y a un nous derrière ce que dit Dieu : nous faisons, notre ressemblance, notre image. Ce nous fait écho à ce que dit Dieu à son prophète dans le livre d’Isaïe : « Qui enverrai-je, qui marchera pour nous ? ». Ce pluriel reviendra en Gn 3:22 «L’Éternel Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement.». Il reviendra aussi en 11:7 «Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue, les uns des autres.». Cette pluralité, ce « nous » peut s’expliquer de plusieurs façons. La critique historique a voulu voir dans ce nous, un reste de polythéisme dans une version archaïque du texte. Ne perdons pas de temps avec ces sottises allemandes académiques et protestantes. Première réponse possible : Dieu inclut sa création de façon rhétorique. En ce cas pourquoi Dieu créé-t-il seul au verset 27 ? cela n’est pas logique. Pas plus que la version rabbinique qui imagine un « nous » incluant Dieu et son conseil céleste, c’est à dire les anges. Ceci est la version rabbinique, peu convaincante, toujours à cause du verset 27 où Dieu créé seul, et aussi à cause de l’image. Le nôtre image et le nôtre ressemblance inclurait alors une partie angélique, ce qui est contredit à nouveau par le texte, par le même verset 27, où mystérieusement l’image divine redevient singulière et unique : Dieu créa l’homme à son image. Nous verrons dans les commentaires patristiques que Saint Basile de Césarée connaissait cette position rabbinique et la réfute avec autorité. On se demande bien pourquoi Dieu a tout fait seul jusqu’ici et pourquoi tout d’un coup, il veut inclure son conseil angélique. La question n’est pas de savoir s’il y a un conseil de Dieu avec ses anges : c’est une réalité biblique et donc une réalité tout court. On voit ça dans le livre de Daniel par exemple au chapitre 7. Mais pourquoi inclure tout d’un coup ce conseil ? L’explication patristique de tout ceci est bien évidemment la Trinité : un dialogue à l’intérieur de la Divine Trinité. Certains, pour réfuter la théologie trinitaire ont plaidé pour un pluriel de majesté. C’est un peu faible. Surtout que Dieu n’a pas d’interlocuteur ici. Il utiliserait un pluriel de majesté sans cour, et passerait au « je » plus tard dans ses interactions avec les hommes ? Cela ne tient pas. Bien que défiant les limitations de la raison humaine, on voit bien ici que le Dieu de la Bible est un Dieu trinitaire.

Vient ensuite ce passage très connu : à notre image et à notre ressemblance.

L’image et la ressemblance

L’hébreu et le grec de la LXX varient de façon passionnante. L’hébreu dit בְּצַלְמֵ֖נוּ pour l’image. Si on décompose la logique de l’hébreu nous avons la préposition beth, qui veut dire le plus souvent dans, et le suffixe nw qui veut dire notre. Donc en littérale on a beth tselem nous. Tselem signifie image. On utilise aussi ce mot pour désigner l’idole. En hébreu moderne le tsalam est le photographe. Beth, comme préposition veut le plus souvent dire avec, dans, à. Donc on pourrait dire avec notre tselem, avec notre image, dans notre image, à notre image. Le mot suivant concernant la ressemblance est כִּדְמוּתֵ֑נוּ qui commence cette fois avec le préfixe ké, de la lettre kaf. Le nw final signifie toujours notre. Le mot central est dmout qui signifie aussi image, mais aussi ressemblance. Et enfin la lettre kaf en début de mot est la préposition ké qui peut signifier comme, selon. Donc, on peut traduire comme notre ressemblance, selon notre ressemblance. Le grec de la LXX donne : κατ᾿ εἰκόνα καὶ καθ᾿ ὁμοίωσιν
εικόνα signifie image et a d’ailleurs donné icône. C’est le mot qui a été utilisé pour traduire le tselem hébreu. Le préfixe qui traduit le beth hébreu est kat, abbréviation de kata. Ὁμοίωσις se traduit ressemblance et a été utilisé pour traduire le dmout. La nuance vient de l’utilisation à nouveau de kata pour traduire la préposition de ké. Ainsi en hébreu nous avons avec notre image et à notre ressemblance tandis que le grec donne selon notre image et selon notre ressemblance.





Un des fondements de la théologie ascétique orthodoxe que l’on peut trouver dans la philocalie, cette anthologie de textes monastiques, est que l’image est acquise mais que la ressemblance est à conquérir. Malgré tous nos péchés, nous sommes à l’image de Dieu, ce qui donne la valeur de chaque vie humaine. Et ceci est indépendant de nos actions. C’est donné. Mais la chute nous a fait perdre cette ressemblance. Ainsi, il est fascinant de voir que l’hébreu est un texte dans une dynamique d’après la chute : la relation entre l’image et entre la ressemblance n’est pas de même nature. Par contre le grec est un texte avec une dynamique d’avant la chute : même relation à l’image et à la ressemblance. Fascinant.
L’image de Dieu inscrite en l’homme est réaffirmée à plusieurs reprises dans la Bible. En Gn 9:6 « Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé ; car Dieu a fait l’homme à son image. ». On notera avec intérêt que cette mention est postérieure au péché originel et à la chute. La ressemblance à conquérir est celle du Christ nous dit Saint Paul en Ro 8:26 « Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils fût le premier-né entre plusieurs frères. ». Il a évoqué cette image en Col 3:10 « et ayant revêtu l’homme nouveau, qui se renouvelle, dans la connaissance, selon l’image de celui qui l’a créé. » et Jacques l’a aussi évoquée en 3:9 « Par elle nous bénissons le Seigneur notre Père, et par elle nous maudissons les hommes faits à l’image de Dieu. » il dit cela en parlant de la langue, pour nous rappeler que notre langue est faite pour louer Dieu et non pour dire du mal des créatures à son image. Attardons nous un instant sur le nom de celui qui est créé. Adam. Souvent on dit qu’il s’appelle Adam parce qu’il est tiré de la terre : Adamah. C’est vrai. Mais cela n’est pas tout. S’il est vraiment nommé à partir de ce qui le constitue, il ne vous semble pas étonnant qu’il n’y ait pas une mention du souffle de Dieu qui lui donne vie, chose que nous voyons dans le second récit de la création ? Dieu a soufflé un souffle de vie (un mishmat ‘hayim) en lui et cela lui donne vie. En ce cas, il devrait logiquement s’appeler adammishma, ou mishmadam. Mais là son nom ne fait référence qu’à la terre. C’est bizarre. Mais souvenez vous qu’il est est fait kidmouténou, donc il fait comme le dmout divin, et dmout et adam partagent la même racine : domé, ressembler. Profondément, ontologiquement, Adam, est celui qui est fait pour ressembler. Il est fait pour ressembler à l’image divine. Il a cette capacité d’imitation, de ressemblance. Il ne peut pas faire autrement que de ressembler. Il ressemble à ce qu’il prend comme modèle. Le drame humain est que le Diable a réussi à être un modèle de révolte, d’individualisme vers lequel s’est tourné Adam. Le Christ s’est aussi incarné pour être un modèle parfait, puisqu’il est l’image du Père. En ressemblant à Jésus, nous accomplissons notre vocation adamique de ressemblance. Cette ressemblance est à double sens, puisqu’Ezekiel dans une vision céleste dira ceci du trône divin où siège le Très Haut : « et sur cette forme de trône apparaissait comme une figure d’homme placé dessus en haut. » (Ez 1:26) En quoi ressemblons nous à Dieu ? Il est très difficile de répondre à cette question. Il s’agit probablement d’une ressemblance de rationalité, d’intelligence, de volonté, d’émotions, mais avant toute chose d’amour. Dieu est un être relationnel, et l’homme, à son image et selon sa ressemblance est également un être relationnel. Dieu a créé Adam mâle et femelle. Cette différenciation sexuelle en vue de la procréation s’enchaîne harmonieusement avec le verset suivant où Dieu les appelle à la procréation. Nous verrons au chapitre 2, lors de la création d’Eve ce qu’il faut penser d’une lecture où Adam serait créé de façon androgyne, un être double homme et femme qui serait ensuite coupé en deux. Le texte hébreu ici empêche cette lecture : mâle et femelle il LES créa. Otam en hébreu concerne au moins deux personnes. On parle ici d’Adam et Eve. Le chapitre 2 va donner davantage de précision sur cette création d’Adam, d’Adam et Eve, du masculin et du féminin. Le Christ lit aussi de façon littérale : Mt 19:4 ou Mc 10:6« Il répondit : N’avez-vous pas lu que le créateur, au commencement, fit l’homme et la femme ». Être humain, c’est être un homme ou être une femme. C’est être sexué. C’est avoir la capacité de perpétuer dans d’autres générations l’image de Dieu dont nous sommes les porteurs. Ces délimitations de genre, cette binarité du genre humain, Dieu la qualifie de « très bonne » au verset 31. Ainsi, se retrouve avec une appréciation divine très positive la différenciation des genres et la reproduction sexuée. Vous savez donc quoi penser des constructions sociologiques qui essaient d’interchanger genre et sexe. Nous verrons au chapitre 2 qui traite du mariage, quoi penser plus en détail de tout ceci. Puis Dieu les bénit. J’ai expliqué dans un précédent billet ce qu’est la bénédiction et je n’y revient donc pas. Il est expliqué ici qu’Adam a domination sur la terre. Cette domination est rappelée par le psalmiste « Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds, Les brebis comme les bœufs, et les animaux des champs, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, Tout ce qui parcourt les sentiers des mers. » (8:7-9). Quelle est la nature de la domination ? C’est bien évidemment une domination de bienfaisance, de bonté et d’amour. Si la chute n’a pas modifié le fait que l’homme soit à l’image de Dieu, le troisième récit de la création, celui du chapitre 5, montre que cette mention de domination disparaît. L’homme déchu, l’homme ressemblant aux forces du mal, l’homme soumis au péché et à la mort n’a plus la domination sur le monde. On voit que la domination est explicitement exprimée sur les groupes animaux suivants : les poissons, les oiseaux et enfin les animaux terrestres. L’humanité, en la personne de Noé va redécouvrir une domination de gestion et de bienfaisance dans l’arche, qui sauvera chaque espèce. Dans le verset 29 Dieu donne à l’homme une nourriture totalement végétale. La précision concernant l’arbre avec son fruit interdit viendra au chapitre 2. Avant la chute Adam et Eve avaient donc une nourriture totalement végétalienne, correspondant à quelques exceptions près à ce que l’Église promeut pendant les périodes de carême : rien qui ne puisse être d’origine animale. Les exceptions concernent les fruits de mer ou les œufs de poisson, mais ceci n’est pas le sujet ici. Ce régime de non prédation et de total accord avec la nature est partagé par les animaux. L’ours ne dévore pas le saumon, le lion ne chasse pas l’antilope, et le renard ne piège pas les volailles. Après avoir tout créé de la sorte, Dieu conclut le sixième jour avec une variation qui attire l’attention. Tout n’est pas bien, mais très bien déclare le Seigneur en contemplant sa création. L’hébreu attire aussi notre attention en modifiant la façon dont le chiffre six est mis en avant. Chaque jour était présenté littéralement ainsi : jour deux, jour trois, jour quatre, mais ici c’est jour le six. Comme pour mettre en avant ce jour. C’est le jour où l’homme est créé, et c’est là que prend sens toute la création divine. Et c’est aussi le jour où le Christ donne sa vie pour l’homme, car ce sixième jour est un vendredi. Les deux seules autres mentions de choses très bonnes dans le biblique sont pour la Loi : ps 18:8 « La loi de l’Éternel est parfaite, elle restaure l’âme ; Le témoignage de l’Éternel est véritable, il rend sage l’ignorant. » et pour la terre d’Israël en Nb 14:7 « et parlèrent ainsi à toute l’assemblée des enfants d’Israël : Le pays que nous avons parcouru, pour l’explorer, est un pays très bon, excellent. ».Ce « très bon » de Dieu intègre la réponse à sa mention « il n’est pas bon que l’homme soit seul » du chapitre 2. La situation n’était pas complètement bonne, mais ensuite elle l’est, à ses yeux.

Commentaires patristiques

Passons maintenant aux commentaires patristiques, en commençant par Saint Jean Chrysostome. Dans sa huitième homélie sur la Genèse, il disait : «Ne soyons donc pas moins actifs que ceux qui cherchent des trésors périssables, mais travaillons avec ardeur à découvrir le trésor spirituel qui est caché dans les paroles de la Genèse. Et d’abord considérons ce qu’elles renferment de nouveau, et de vraiment admirable : puis nous examinerons tous les termes divers que choisit l’écrivain sacré, ou plutôt que Dieu lui-même lui inspire. Et Dieu dit: faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Lorsqu’il eut créé le ciel et la terre, il dit : que la lumière soit: que le firmament soit entre les eaux ; que les eaux se réunissent dans un seul bassin, et que l’élément aride paraisse; et encore : que des corps de lumière soient, et que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent. C’est ainsi que pendant cinq jours toutes les créatures furent formées par la seule parole du Seigneur. Mais aujourd’hui quel langage différent ! Il ne dit point : que l’homme soit, mais faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Quel sera donc cet ouvrage nouveau, et quelle merveille va se produire ! quel est cet être dont la formation semble exiger du Créateur tant de prudence et de circonspection? Ne vous en étonnez point, mes très-chers frères: car l’homme surpasse en dignité toutes les créatures visibles qui n’ont été créées que pour lui. Oui, le ciel, la terre et la mer; le soleil, la lune et les étoiles; les reptiles, les animaux domestiques et les bêtes féroces, tout en un mot n’a été créé que pour l’homme. Mais puisque l’homme surpasse en dignité toutes les créatures, pourquoi a-t-il été créé le dernier? Certes, c’est avec raison. Car, lorsqu’un roi doit entrer dans une ville, il y envoie d’abord ses gardes et ses officiers, afin qu’ils disposent le palais pour son arrivée. Et de même, le Seigneur, qui devait établir l’homme roi et souverain de l’univers, voulut d’abord l’orner et l’embellir, et puis il créa l’homme auquel il a donné l’empire du monde. C’est ainsi qu’il montre combien il honore l’homme. » Excellente analyse du pourquoi du séquencement et du changement d’écriture. Puis l’exégète va répondre aux juifs puis aux autres hérétiques, ce qui montre bien la classification particulière réservée aux juifs dans la pensée patristique : «Interrogeons maintenant les Juifs, et demandons-leur de répondre à cette question. A qui le Créateur dit-il : Faisons l’homme à notre image ? Les Juifs se vantent de croire à qui Moïse a écrit ces paroles; mais réellement ils n’y croient pas, comme le leur reprochait Jésus-Christ. Si vous croyiez à Moïse, leur disait-il, vous croiriez aussi à moi (Jean, V, 46); ils sont, il est vrai, les dépositaires des saintes Ecritures, mais les chrétiens seuls en possèdent le sens. A qui donc le Seigneur dit-il : Faisons l’homme? Et auprès de qui prend-il conseil? Ce n’est pas que Dieu ail besoin de prendre conseil, et d’agir avec circonspection : non sans doute. Mais ces expressions figurées attestent toute l’excellence de l’être qu’il allait produire. Que répondent enfin ceux qui ont un voile sur les yeux, et qui ne veulent point comprendre l’Ecriture? Dieu, disent-ils, parle à un ange, ou à un archange. O folie ! ô impudence ! peut-on dire avec quelque apparence de raison, ô pauvre homme, que Dieu prenne conseil de ses anges, et le Créateur, de ses créatures? L’office des anges n’est point de donner des conseils, mais d’entourer le trône du Seigneur et d’exécuter ses ordres. En doutez-vous? écoutez cette magnifique vision du prophète Isaïe : J’ai vu des chérubins qui se tenaient à la droite du Très-Haut, et des séraphins qui se voilaient, de leurs ailes le visage et les pieds. (Isaie, VI, 2.) Ils se voilaient ainsi, parce qu’ils ne pouvaient soutenir l’éclat de la majesté divine. Aussi le Prophète les a-t-il vus tremblants et pénétrés de crainte. C’est en effet le devoir et l’office de ces intelligences célestes de se tenir près du Seigneur. Les Juifs qui ne veulent point comprendre le sens des Ecritures nous répondent au hasard, et sans réflexion. Ainsi, après avoir réfuté leurs erreurs, exposons aux enfants de l’Eglise la vérité des paroles de Moïse. A qui donc le Créateur dit-il : Faisons l’homme? Mais à quel autre qu’à Celui qui est l’Ange du grand conseil, le Conseiller par excellence, le Dieu puissant, le Prince de la paix, le Père du siècle futur, le Fils unique de Dieu, qui est consubstantiel au Père, et par qui tout a été créé? C’est à lui que le Seigneur dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Ce passage suffit pour confondre les ariens. Car Dieu le Père ne commande point à son Fils comme à un sujet et un serviteur, ni même comme s’il lui était inférieur en substance; mais il lui parle comme à son égal, en disant : Faisons l’homme, et il proclame sa parfaite consubstantialité en ajoutant : Faisons l’homme à notre image et ressemblance. Ici s’élèvent d’autres hérétiques qui combattent l’enseignement de l’Eglise, et qui concluant de cette parole à notre image que Dieu a une forme humaine. Mais n’est-ce point le dernier degré de la folie que de donner une forme humaine à l’Etre qui est un, simple et immuable, et d’attribuer un corps et des membres à Celui qui est un pur esprit? Peut-on rien inventer de plus extravagant, et qui blesse d’une manière plus choquante l’inspiration et le sens des divines Ecritures? Ces hérétiques ressemblent à des personnes dont l’estomac est malade, ou dont les yeux sont faibles. L’infirmité de leur vue les empêche de soutenir l’éclat du soleil, et leur mauvaise complexion les porte à repousser les meilleurs et les plus salutaires aliments. C’est ainsi que ces hérétiques qui ont l’âme malade, et les yeux de l’esprit mal affectés, ne peuvent supporter la lumière de la vérité. Mais notre ministère nous oblige à leur tendre la main, et à leur parler avec la plus bienveillante douceur. Tel est l’avis que nous donne l’Apôtre. Instruisez, dit-il, avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l’espérance que Dieu pourra leur donner et l’esprit de pénitence pour la leur faire connaître, et la sobriété de l’esprit pour qu’ils sortent des pièges du démon qui les tient captifs, et en fait ce qu’il lui plaît. ».

Le saint docteur fait ensuite un passionnant développement sur une fausse vision hérétique et comment chacun est appelé à un apostolat, à une apologie et à témoigner des vérités de la foi : « Nos adversaires veulent-ils encore, même après une explication si catégorique, entendre ce mot image d’une forme corporelle? nous leur dirons que Dieu n’est pas seulement homme, mais femme aussi, puisque la forme humaine se retrouve dans les deux sexes. Mais ce serait vraiment trop absurde; et il suffit pour s’en convaincre de lire ce passage de l’Apôtre : L’homme ne doit point se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu; au lieu que la femme est la gloire de l’homme. (I Cor. II, 7.) Et en effet, l’homme commande et la femme lui est soumise, ainsi que Dieu le lui a signifié dès le commencement. Tu seras sous la puissance de ton mari, et il te dominera. (Gen. III, 16.) Ainsi l’homme a été fait à l’image de Dieu parce qu’il entre en participation de son autorité, et non point parce que Dieu a une forme humaine. L’homme commande donc à toutes les créatures, et même à la femme qui lui est assujettie. C’est pourquoi saint Paul a dit de l’homme qu’il est l’image et la gloire de Dieu, et de la femme, qu’elle est la gloire de l’homme. Mais si les paroles de l’Écriture devaient s’entendre de la forme et de la figure, la distinction que fait ici l’Apôtre serait inutile, puisque la nature humaine est la même dans l’homme et dans la femme.

Tel est le véritable sens de ce passage de la Genèse, et il ne laisse aucun prétexte à ceux qui s’obstinent aveuglément à le rejeter. Mais, quoiqu’il en soit, ne cessons point de les traiter avec douceur, car peut-être le Seigneur leur donnera-t-il l’esprit de pénitence qui les amènera à reconnaître la vérité. (II Tim. II, 25.) Ainsi donnons à notre zèle une nouvelle activité, et efforçons-nous par notre douceur de les arracher aux pièges du démon. Citons-leur encore l’autorité de l’Apôtre, qui disait aux Athéniens que nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à l’or ou à l’argent, ou à la pierre dont l’art et l’industrie des hommes a fait des figures. (Act. XVII, 29.) Et observez ici avec quelles précautions ce sage docteur sape dans leur base les raisonnements de l’hérétique; car il dit que non-seulement la divinité ne peut avoir une forme corporelle, mais il ajoute même que l’imagination de l’homme ne saurait la représenter. Citez-leur donc ces paroles, et employez tous vos soins pour les détromper et les faire revenir de leurs erreurs. Au reste, si vous devez toujours les instruire avec bonté, vous devez également connaître à fond les dogmes de l’Église, ainsi que le sens des Écritures. Quand vous disputerez contre des juifs, dites-leur que ces paroles de la Genèse ne s’adressent point aux anges, qui sont les serviteurs de Dieu, mais à son Fils unique; et quand vous combattrez contre des ariens, prouvez-leur par ces mêmes paroles que le Fils est égal au Père en nature et en dignité; enfin, citez l’autorité de saint Paul contre ceux qui soutiennent que Dieu a une forme humaine. C’est ainsi que, par la saine exposition de votre croyance, vous arracherez ces pernicieuses erreurs qui pullulent au milieu de nous, comme l’ivraie parmi le bon grain; et que, par votre zèle, la bonne doctrine s’enracinera dans les âmes et s’y fortifiera. Oui, je veux que vous soyez tous des docteurs, et qu’après avoir écouté nos instructions, vous puissiez, vous aussi, instruire les autres, et que, devenant des pêcheurs d’hommes, vous rameniez, les hérétiques dans les voies de la vérité. L’Apôtre nous y exhorte lorsqu’il nous dit « édifiez-vous les uns les autres ! et opérez votre salut avec crainte et tremblement. ». Par là l’Église verra augmenter le nombre de ses enfants, et vous-mêmes vous obtiendrez des grâces plus abondantes, comme récompense de votre zèle à l’égard de vos frères. Et en effet, le Seigneur ne veut point qu’un chrétien se contente de travailler à son salut, mais il lui ordonne d’édifier son prochain par une saine doctrine, et surtout par sa vie et sa conduite. C’est là le moyen le plus puissant pour ramener les pécheurs dans les voies de la vérité; car ils considèrent bien plus nos actions que nos paroles. Ce n’est que trop vrai. Aussi, serait-ce en vain que nous disserterions éloquemment sur le pardon des injures si, dans l’occasion, nous n’en donnions l’exemple. Nos discours n’auraient jamais alors autant d’efficacité pour le bien que notre conduite pour le mal. Mais si l’exemple précède et accompagne nos paroles, on nous croira, parce que nous pratiquerons nous-mêmes les leçons que nous donnerons aux autres. C’est de ces chrétiens que Jésus-Christ a dit : Heureux celui qui fera et qui enseignera ! Et observez comme il met l’action avant la doctrine. Et en effet, quand même la parole ne suivrait point l’exemple , celui-ci suffirait pour instruire tous ceux qui le voient. Appliquons-nous donc à édifier nos frères par nos bonnes œuvres, et puis nous leur adresserons de bons discours; autrement on pourrait nous appliquer cette parole de l’Apôtre : Vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes. Lorsque nous voudrons donner à quelqu’un des avis utiles à son salut, commençons à les mettre d’abord en pratique. Nous pourrons alors parler et instruire avec plus d’assurance. C’est ainsi que nous travaillerons avec zèle et avec succès au salut des âmes et que, réprimant les mouvements de la chair, nous observerons le vrai jeûne, celui qui consiste à s’abstenir du péché; »

Passons maintenant à Saint Basile le Grand. Dans sa dernière homélie de l’hexameron, il explique ce qu’il faut comprendre dans le fait d’avoir été créé à l’image de Dieu : «Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Il est clair, d’après l’Écriture, que nous avons été faits à l’image de Dieu. Qu’est-ce à dire, à l’image de Dieu ? n’imaginons rien de corporel et de terrestre , purgeons nos cœurs de toute idée grossière , délivrons nos esprits de toute ignorance, de toute opinion fausse sur la divinité, de ces opinions qui font dire à quelques-uns : Si nous avons été faits à l’image de Dieu, Dieu a donc la même figure que nous ; il a donc des yeux, des oreilles, une tête, des mains, des pieds qui portent tout le corps. Aussi est-il dit dans l’Écriture que Dieu s’assied , qu’il a des pieds avec lesquels il marche. Dieu a donc la même figure que nous. Bannissez de vos cœurs ces imaginations absurdes ; chassez de vos esprits ces pensées peu convenables à la majesté divine. Dieu est simple, sans forme, sans grandeur et sans mesure physique. Ne vous imaginez pas une figure dans Dieu ; ne rapetissez pas, comme les Gentils , le grand Être ; ne resserrez pas Dieu par des idées corporelles; ne circonscrivez point, par les bornes de votre intelligence, celui qui, par l’immensité de sa grandeur, est incompréhensible. Imaginez quelque chose de grand, ajoutez-y ensuite, ajoutez-y encore de plus en plus, et soyez certain que votre esprit ajoutera toujours sans pouvoir jamais atteindre à l’infini. Ne vous imaginez donc pas une figure dans Dieu en qui tout est puissance, ni une grandeur déterminée, puisqu’il est partout, supérieur à tout l’univers. Il ne peut être ni touché, ni vu, ni conçu, ni terminé par une forme, ni circonscrit par une mesure, ni limité en puissance, ni renfermé dans le temps, ni borné par aucun nombre. Il n’est rien absolument en Dieu tel que dans nos corps existants, ou dans les corps intelligibles. Comment donc l’Écriture a-t elle dit que nous avons été faits à l’image de Dieu ? Reconnaissons ce que nous avons en nous qui semble nous approcher de Dieu, et convenons que ces paroles, à notre image, ne doivent nullement être prises dans le sens de figure corporelle. Le corps se voit : or, ce qui est visible ne peut avoir de rapport avec un être invisible.; et ce qui est corruptible ne peut être l’image d’un être incorruptible. Le corps se fortifie, s’affaiblit, vieillit, éprouve des changements. Il n’est pas dans la vieillesse ce qu’il est dans la jeunesse, dans l’adversité ce qu’il est dans la prospérité, dans la tristesse ce qu’il est dans la joie, dans la crainte ce qu’il est dans la confiance, dans l’abondance ce qu il est dans le besoin, dans la guerre ce qu’il est dans la paix. Il n’a pas, lorsqu’il dort, le même teint que lorsqu’il est réveillé. Comment donc ce qui change peut-il ressembler à ce qui ne change pas ; ce qui n’est jamais dans le même état, à ce qui est toujours le même ? Le corps humain nous échappe comme une eau courante, il se dérobe à nous avant que nous puissions le contempler, il change continuellement. A notre image. Comment une nature fluide et changeante peut-elle être l’image d’une nature immuable, une nature qui a une forme, de celle qui n’en a pas ? Où chercherons-nous le sens de ces paroles : A notre image ? dans ce que Dieu lui-même ajoute aussitôt. Si je vous dis quelque chose de moi , ne l’écoutez pas : si je vous offre les paroles mêmes du Seigneur, recevez-les. Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, et qu’il commande aux poissons. Je vous le demande, commandez-vous aux poissons ? Est-ce par le corps ou par la raison ? votre commandement tient-il à l’âme ou à la chair ? Le corps de l’homme est plus faible que celui de beaucoup d’animaux ; et nous ne comparerions jamais notre force avec celle du chameau, de l’éléphant, du taureau, du cheval , ou de chacun des grands animaux. La chair de l’homme est fragile, en comparaison avec celle de la bête sauvage. Mais en quoi consiste notre commandement ? c’est dans la supériorité de la raison. Tout ce qui nous manque par la force du corps, nous le possédons avec avantage par les ressources de la raison. Car l’âme, douée d’intelligence, a pu soumettre facilement tout ce qui est dans le monde. Par où l’homme transporte-t-il les plus grands fardeaux ? est-ce par la subtilité de l’esprit ou par la vigueur du corps ? Ainsi, c’est dans les ressources de la raison, et non dans la figure du corps, qu’on doit chercher notre commandement , et la prérogative d’avoir été faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. ». L’image est donc celle de la souveraineté, et non celle du corps physique. Ceci est tiré de la dixième homélie, et elle n’est peut-être pas de lui, mais d’un disciple. Par contre dans sa neuvième, qui est assurément attribuée à Saint Basile, il montre sa connaissance de la position juive, qu’il réfute avec une grande vigueur : «Mais je m’aperçois qu’on me demande, il y a longtemps, de parler de la création de l’homme; et il me semble entendre mes auditeurs qui, au-dedans d’eux-mêmes, me disent : On nous enseigne bien quelle est la nature des êtres qui nous sont soumis , mais nous nous ignorons nous-mêmes. Il faut nécessairement que nous parlions de l’homme sans être arrêtés par les difficultés du sujet : car il semble réellement très-difficile de se connaître soi-même. L’œil, qui voit hors de lui , ne se sert pas pour lui-même de sa force intuitive: ainsi notre esprit, dont la vue est si pénétrante pour découvrir les fautes d’autrui, est fort lent pour reconnaître les siennes propres. C’est pour cela que notre discours, qui a détaillé avec tant d’ardeur et de vivacité ce qui regarde les autres êtres, est plein de lenteur et d’embarras pour examiner ce qui concerne l’Homme. Cependant, si l’on s’étudie soi-même avec intelligence , on peut connaître Dieu d’après sa propre constitution, aussi bien que d’après le ciel et la terre, selon ce que dit le Prophète : La science de votre nature a été en moi admirable d’après l’étude de moi-même (Ps. 138. 6. ); c’est-à-dire, dès que je me suis connu, j’ai appris à connaître votre sagesse suprême. Et Dieu dit : Faisons l’homme. Où est ici le Juif, qui , dans ce qui précède, lorsque la lumière de la vérité brillait comme à travers un voile; lorsque, d’une manière mystique et pas encore évidente, il se manifestait une seconde personne, combattait la vérité, prétendait que Dieu se parlait à lui-même ? C’est lui, disait-il, qui a parlé et qui a fait : Que la lumière soit, et la lumière fut. L’absurdité de leur réponse même alors était palpable. Car, quel est l’ouvrier qui, assis au milieu des instruments de son art, travaillant absolument seul , se dit à lui-même : Faisons une épée, fabriquons une charrue , achevons une chaussure? il fait en silence l’ouvrage qui convient à sa profession. C’est en effet un extrême ridicule de dire que quelqu’un est assis pour se commander à lui-même, pour se presser avec force et d’un ton de maître. Mais des hommes qui n’ont pas craint de calomnier le Seigneur lui-même, que ne diraient-ils pas ayant leur langue exercée au mensonge ? Toutefois le passage présent leur ferme entièrement la bouche. Et Dieu dit: Faisons l’Homme. Diras-tu encore , ô Juif! qu’il n’y a qu’une personne ? Tant qu’il ne paraissait pas encore d’être capable d’instruction, la prédication de la divinité était cachée profondément: lorsqu’ensuite la création de l’homme est attendue, la foi se dévoile, le dogme de la vérité se manifeste d’une façon plus claire. Faisons l’homme. Entends-tu, ennemi du Christ, que Dieu s’entretient avec celui qui partage l’ouvrage de la création, par qui il a fait les siècles, qui soutient tout par la parole de sa puissance ? Mais nos adversaires n’écoutent point, sans essayer de répondre, les preuves de notre foi : et de même que les bêtes farouches , les plus ennemies de l’homme, lorsqu’elles sont enfermées dans des cages, frémissent contre les barreaux , et manifestent toute la férocité de leur naturel sans pouvoir assouvir leur fureur; ainsi les Juifs, naturellement ennemis de la vérité, se voyant embarrassés, prétendent que c’est à beaucoup de personnes que la parole de Dieu s’adresse; que c’est aux anges présents qu’il dit : Faisons l’homme. C’est là vraiment une invention des Juifs, une fable, fruit de leur légèreté. Ils introduisent une infinité de personnes, pour n’être pas obligés d’en admettre une seule ; ils rejettent le Fils , et attribuent à des serviteurs la dignité sublime de conseillers du Très-Haut ; ils rendent maîtres de notre création ceux qui partagent avec nous la servitude. L’homme parfait peut s’élever jusqu’à la dignité des anges ; mais quelle créature peut devenir semblable à Dieu ? Considérez la suite : à notre image. Que dit-on à cela? l’image de Dieu et des anges est-elle la même? La forme du Père et du Fils est la même nécessairement. La forme doit être entendue dans un sens convenable à Dieu, non dans le sens de figure corporelle , mais d’attribut propre à la divinité. Ecoutez, ô vous qui vous êtes fait nouvellement Juif, qui , sous prétexte de professer le christianisme, soutenez le judaïsme ! A qui Dieu dit-il : A notre image? à quel autre qu’à celui qui est la splendeur de sa gloire , le caractère de sa substance, l’image du Dieu invisible ? C’est à son image vivante qu’il a dit: Moi et mon Père nous sommes une même chose; qui m’a vu a vu mon Père; c’est à cette image qu’il dit: Faisons l’homme à notre image. Où est la même image, peut-il y avoir disparité de nature ? Et Dieu fit l’homme. L’Écriture ne dit pas, ils firent. Elle veut éviter ici la pluralité des personnes. Instruisant le Juif par les premières paroles, et rejetant par celles-ci l’erreur des Gentils, elle recourt sagement à l’unité , afin que vous conceviez le Fils avec le Père , et que vous évitiez le danger du polythéisme. Il le fit à l’image de Dieu. Elle introduit de nouveau la personne d’un coopérateur , en ne disant pas, à son image , mais , à l’image de Dieu. Or, en quoi l’homme porte l’image de Dieu , et comment il participe à sa ressemblance, c’est ce que je montrerai par la suite avec la grâce du Seigneur. Qu’il me suffise maintenant de dire à nos adversaires : S’il n’y a qu’une seule image , comment vous est-il venu dans l’esprit de débiter une impiété aussi horrible, de dire que le Fils n’est pas semblable au Père ? O ingratitude ! vous refusez à votre bienfaiteur la ressemblance que vous avez reçue de lui ! vous prétendez devoir conserver une prérogative qui est pour vous une pure grâce; et vous ne permettez pas que le Fils ait avec le Père une ressemblance qu’il tient de sa nature ! ».

Saint Basile réfute ici une position juive classique : Dieu s’adresse à sa cour céleste avant de créer l’homme, ce qui explique le pluriel de « faisons ». J’ai montré modestement au début de ce billet que cela n’était pas cohérent avec le texte, et Basile vient de le faire ici d’une façon qui me semble indiscutable. Voici ici la position juive afin que vous puissiez, tel Basile, avoir tous les éléments en main pour apprécier justement leur réfutation.



Ceci est le commentaire de Rachi sur «faisons » : nous apprenons ici la modestie du Saint-Béni soit-il. L’homme étant à l’image des anges, ceux-ci auraient pu être jaloux. C’est pourquoi il les a consultés (Sanhedrin 38B, Berechit Raba 8:7). Et lorsque Dieu juge les rois de la terre, il consulte sa famille céleste, ainsi que nous le trouvons à propos de A’hav à qui Mikha avait déclaré « j’ai vu Hachem assis sur son trône, tandis que toute l’armée céleste se tenait debout près de lui, à droite et à gauche ». A noter que ce passage de Saint Basile est souvent montré en exemple de l’antisémitisme des Pères de l’Église. Il y est présent le plus souvent avec certains passages de Saint Jean Chrysostome. Faisons une courte digression pour répondre rapidement à ce genre d’accusation. Premièrement, cela montre bien la féminisation de notre temps. Ce passage n’a rien d’antisémite. L’antiquité produisait des hommes ô combien plus virils que notre pauvre époque. Il s’exprimaient clairement et appelait un chat un chat. Du point de vue chrétien, les juifs ont tort, et vice-versa. Si le dire est antisémite, alors Dieu, la vie, le monde, le Christ, la Bible sont antisémites. L’antisémitisme ne doit pas s’élargir au fait de ne pas être d’accord avec les juifs, cela n’est pas sérieux. Ces textes chrétiens très hostiles à la religion juive, mais en aucun cas aux personnes, sont un écho antique plutôt véhément, aux textes rabbiniques talmudiques insultants pour les non-juifs. Cessons de lire comme de vieilles dames prudes… fin de la digression.

Passons à Saint Augustin. Comme à chaque fois, Augustin pose les mêmes questions que les deux géants du monde grec, et y réponds sensiblement la même chose, mais avec ses propres mots. Il explique que l’image et la ressemblance consistent en la domination sur le monde. Mais, comme d’habitude il donne aussi des choses très personnelles et très originales, qui valent d’être mentionnées. Il écrit : « Il faut de plus remarquer que pour le reste Dieu ne dit pas: « Faisons, » et qu’en révélant cette circonstance à l’écrivain sacré, l’Esprit-Saint a voulu encore indiquer la supériorité de la nature humaine. Or à qui Dieu a-t-il dit : «Faisons, » quand il s’est agi de créer l’homme, sinon au Verbe, à qui, pour le reste, il disait : Fiat : que cela soit ? Car toutes choses ont été faites par lui et rien n’a été fait sans lui. Mais quelle est, à notre avis, la raison de cette différence ? Pourquoi le terme fiat, si ce n’est pour marquer l’opération du Fils exécutant l’ordre du Père? et pourquoi ensuite faisons, si ce n’est pour marquer l’opération de tous deux ? Ou bien tout ce que fait le Père, le fait-il par le Fils, et quand il est dit, au sujet de l’homme, : « Faisons, » est-ce en vue d’apprendre à l’homme, pour qui l’Écriture Sainte a été dictée, que ce que fait le Fils en accomplissant la volonté du Père, le Père le fait aussi lui-même? Et le mot « faisons » doit-il lui montrer ici que partout ailleurs où nous lisons : « Qu’il soit fait ; et il fut fait; » le commandement et l’exécution n’ont point été séparés, mais ont eu lieu ensemble? « Et Dieu dit: Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. » Toute image est ressemblante à celui dont elle est l’image ; et néanmoins tout ce qui ressemble à quelqu’un n’est pas pour cela son image. Par exemple, les figures dans un miroir étant des images sont ressemblantes, de même les portraits dans la peinture. Cependant si de deux objets l’un ne résulte pas de l’autre, aucun d’eux ne peut être dit l’image de l’autre, Car une image véritable, c’est la copie immédiate de celui qu’elle imite. Pourquoi donc, après avoir dit, « à notre image, » ajouter encore : « et à notre ressemblance ; » comme si une image pouvait ne pas ressembler à l’original? Il semble qu’il aurait suffi de dire : « à notre image. » Mais le ressemblant diffère-t-il de la ressemblance, comme l’homme chaste diffère de la chasteté, comme l’homme fort diffère de la force même ; en sorte que les choses ressemblantes ne le soient qu’en participant à la ressemblance, comme ce qui est fort l’est par la force, comme ce qui est chaste l’est par la chasteté ? Il faut l’avouer, c’est dans un langage peu propre que l’on dit de notre image qu’elle est notre ressemblance, quoique l’on puisse dire en toute vérité qu’elle nous ressemble. Il en est donc de la ressemblance qui se communique comme de la chasteté qui rend chaste tout ce qui l’est. la chasteté pour être chaste n’a besoin de la participation de qui que ce soit; au contraire ce qui est chaste ne l’est que par la participation de la chasteté : et sans aucun doute cette perfection se trouve en Dieu, où se trouve de même cette sagesse que nulle participation ne rend sage, mais qui rend sage tout ce qu’il l’est. C’est donc dans ce sens.que la ressemblance de Dieu par laquelle toute choses ont été faites, est proprement appelée ressemblance; elle est ressemblante non en vertu de la participation de quelque ressemblance, mais comme étant elle-même la première ressemblance, dont la participation rend ressemblant tout ce que Dieu a fait par elle. Si donc il a été dit, non-seulement « à l’image, » mais encore « à la ressemblance ; » c’est peut-être pour montrer que cette image n’est pas ressemblante à Dieu comme participant à quelque ressemblance de lui, mais qu’elle est sa ressemblance même et qu’à elle doivent participer toutes les choses dont il est dit qu’elles ressemblent à cet original divin. C’est ainsi qu’il en est de la chasteté dont la participation fait les âmes chastes; de la sagesse qui se communique aux âmes pour les rendre sages; et de la beauté qui rend beau tout ce qui l’est. Si Dieu avait seulement dit:« à notre ressemblance, » on ne verrait pas que cette ressemblance est prise sur lui; et s’il avait dit seulement: « à notre image, » tout en déclarant que la similitude est prise sur lui, il n’aurait pas marqué que l’image lui ressemble jusqu’à être sa ressemblance même. Or de même qu’il n’est rien de plus chaste que la chasteté, rien de plus sage que la sagesse, rien de plus beau que la beauté, il n’est rien non plus qui puisse être ni que l’on puisse dire ou imaginer plus ressemblant que la ressemblance. On comprend de là qu’au Père est tellement semblable sa Ressemblance, qu’elle exprime avec une entière perfection toute la plénitude de sa nature. Mais combien ne contribue pas à la beauté de chaque Être, cette Ressemblance divine par qui toutes choses ont été faites? Cette étude dépasse de beaucoup les lumières de l’esprit humain; on peut cependant l’aborder de quelque manière, et il suffit d’observer que tout objet qui s’offre soit aux sens soit à la raison, doit à la similitude de ses parties son caractère d’unité. Les âmes raisonnables sont appelées sages grâce à la sagesse divine, et cette sagesse ne s’étend pas plus loin: car nous ne pouvons nommer sages ni les bêtes ni bien moins encore les arbres, ni le feu, l’air, l’eau, la terre, quoique ces choses, en tant qu’elles sont, subsistent par la sagesse de Dieu. Mais nous disons que les pierres se ressemblent, que les animaux se ressemblent; comme nous le disons et des hommes et des anges. De plus, en considérant chaque créature en particulier, nous disons que la terre est vraiment la terre, parce qu’elle a toutes ses parties semblables entre elles; que toute partie de l’eau est semblable aux autres parties et que sans cela l’eau ne saurait être l’eau; que si une quantité quelconque de l’air ne ressemblait pas au reste, il serait impossible de tout point que ce fût de l’air; et que la moindre étincelle de feu ou le moindre rayon de lumière n’est bien du feu ou de la lumière que par une exacte ressemblance avec toutes les autres étincelles ou tous les autres rayons. Il en est ainsi d’une pierre, d’un arbre, du corps de n’importe quel animal, et on peut penser et affirmer, que si les parties n’en étaient pas semblables entre elles, non-seulement ces objets n’auraient pas la nature des êtres de leurs espèces, mais en eux-mêmes et pris à part ils n’en auraient aucune. Nous voyons du reste qu’un corps est d’autant plus beau qu’il se compose de parties plus semblables entre elles. Quant aux âmes, des mœurs semblables les unissent d’amitié les unes aux autres ; mais de plus, dans une même âme, des actions et des vertus semblables, sans lesquelles il ne saurait y avoir de constance , sont l’indice de la vie bienheureuse. En tout cela cependant nous voyons des traits que nous pouvons dire semblables, nous ne voyons pas là ressemblance elle-même. Si donc l’univers est formé d’êtres qui ont entre eux quelque ressemblance, si chacun d’eux en restant ce qu’il est n’en contribue pas moins à former ce grand ensemble que Dieu a créé et qu’il gouverne; il est certain que toutes les créatures ont été faites par la Ressemblance suréminente, immuable et inaltérable de Celui à qui doit l’être tout ce qui existe, et que de là leur vient la beauté qui consiste dans le merveilleux rapport de leurs parties. Toutes cependant n’ont pas été faites à la ressemblance même de Dieu, c’est l’avantage des seules natures raisonnables. Ainsi tout a été fait par elle ; mais il n’y a que les êtres spirituels qui aient été créés pour elle. La substance raisonnable a donc été faite en même temps par la ressemblance et à la ressemblance de Dieu »

Deuxième sujet très intéressant chez le docteur latin : l’anthropologie. La problématique du corps, de l’âme. Il écrit « Quelques personnes ont pensé que l’homme intérieur pourrait bien avoir été créé d’abord et qu’il ne reçut un corps qu’au moment où, selon l’Écriture, « Dieu façonna l’homme du limon de la terre. » De la sorte, le mot créer aurait rapport à l’âme, le mot façonner au corps. Mais on ne réfléchit pas que l’homme fut créé mâle et femelle, et que l’âme n’a pas de sexe. On a beau soutenir fort subtilement que l’intelligence, qui forme le trait de ressemblance entre Dieu et l’homme, est au fond la vie raisonnable, avec la double fonction de contempler l’éternelle vérité et de régler les choses temporelles, et qu’on retrouve ainsi l’homme dans la faculté maîtresse, la femme, dans la matière obéissante; cette distinction supprime la ressemblance de l’homme avec Dieu, ou ne la laisse subsister que dans la faculté de contempler la vérité. L’Apôtre a représenté ce rapport entre deux sexes : « L’homme, dit-il, est l’image et la gloire de Dieu, la femme est la gloire de l’homme. » Il est bien vrai que les facultés qui constituent l’homme intérieur ont pris au dehors la double forme qui caractérise l’homme d’après les sexes ; mais la femme n’est telle que par son organisation : elle se renouvelle dans l’intérieur de son âme, par la connaissance de Dieu, selon l’image de son Créateur, et le sexe n’a aucun rapport avec cette régénération. Par conséquent, de même que la femme est indistinctement appelée avec l’homme à la grâce de se régénérer et de reformer en elle l’image du Créateur, et que son organisation spéciale seule l’empêche d’être proclamée, comme l’homme, l’image et la gloire de Dieu; de même, aux premiers jours de la création, elle avait la prérogative de la nature humaine, l’intelligence, et, à ce titre, avait été faite à l’image de Dieu. C’est pour marquer le rapport qui unit les deux sexes que l’Écriture dit : « Dieu fit l’homme à l’image de Dieu. » Et de peur qu’on ne vit dans cet acte que la création de l’intelligence, formée seule à l’image de Dieu, elle ajoute « Il le fit mâle et femelle, » ce qui implique la création du corps. L’Écriture sait également couper court à l’opinion qui ferait du premier homme un monstre réunissant les deux sexes, un hermaphrodite comme il s’en produit quelquefois: elle fait sentir, en employant le singulier, qu’elle désigne l’union des sexes, et la naissance de la femme tirée du corps de l’homme, comme elle l’expliquera bientôt; aussi ajoute-elle immédiatement au pluriel: « Et Dieu les créa et il des bénit. » ».

Voilà pour les commentaires patristiques. Je vous donne rendez vous pour le prochain billet biblique, qui traitera d’une partie du chapitre 2. Nous y verrons le second récit de la création de l’homme. Nous y verrons en détail comment fut créée Eve, comment les animaux furent nommés, comment Dieu donne son premier commandement. A bientôt.