Un chapitre à la richesse insoupçonnée


Ce chapitre peut paraître très rébarbatif et inintéressant. Il expose principalement une généalogie avec des précisions d’âge. Et pourtant, il soulève des questions qui sont très profondes, et révèlent quelques enseignements, qui j’espère sauront vous apporter des connaissances importantes. Commençons sans plus attendre :

1 Voici le livre de la postérité d'Adam. Lorsque Dieu créa l'homme, il le fit à la ressemblance de Dieu.
2 Il créa l'homme et la femme, il les bénit, et il les appela du nom d'homme, lorsqu'ils furent créés.


Ceci est le troisième récit de la création de l’homme. Nous avons eu le premier au chapitre 1, avec l’image et la ressemblance. Nous avons eu le deuxième au chapitre 2 lorsque Dieu insuffle une âme en Adam. Et voici ici, au chapitre 5, le troisième et dernier récit de la création de l’homme. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un Dieu trinitaire nous parle trois fois, sous trois angles, du même événement.

Deux choses sont en mouvement jusqu’ici : une bénédiction divine et l’empire du péché. Deux forces contradictoires, antagonistes, dont nous allons maintenant voir les effets à un niveau global. Le livre de la Genèse remonte à un niveau plus général. On nous montre une postérité de Seth en regard de la postérité de Caïn vue au chapitre précédent. Jusqu’ici les morts sont intervenues de façon non naturelle : Abel assassiné par Caïn, Lamekh qui rapporte avoir tué d’autres personnes. Pour la première fois nous allons voir des morts « naturelles ». Chaque personne nait, procréé et meurt. Cette généalogie nous amène vers Noé, qui va nous être présenté comme un nouvel Adam. Au travers de la mort, malgré la mort et au-delà de la mort, Dieu travaille. Il a un plan.

La Bible cite parfois d’autres livres. On voit ceci dans le livre des Nombres : « C’est pourquoi il est dit dans le livre des Guerres de l’Éternel: …Vaheb en Supha, et les torrents de l’Arnon, » (Nb 21:14) ou dans le livre de Josué « Et le soleil s’arrêta, et la lune suspendit sa course, jusqu’à ce que la nation eût tiré vengeance de ses ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste? Le soleil s’arrêta au milieu du ciel, et ne se hâta point de se coucher, presque tout un jour. » (Jos 10:13). Ici on pourrait penser au même phénomène mais la Gn expose beaucoup les généalogies avec cette expression en hébreu : « sefer toledot ». Sefer est assez facile à traduire : livre, registre. Toledot est plus complexe à saisir. Il s’agit des générations, des engendrements, des continuités. Il est donc logique que Matthieu ouvre son évangile par « βιβλος γενεσεως ιησου χριστου », car « βιβλος γενεσεως » est le sefer toledot rendu en grec par la LXX. Le texte nous rappelle que nous sommes bénis. Le verset 2 nous apporte immédiatement une première bizarrerie : il y a l’homme et la femme, et pourtant les deux s’appellent Adam. Mais c’est l’homme qui s’appelle Adam normalement. C’est quelque chose de très beau ici, sauf dans un cerveau malade de féministe : leur union, qui est un mariage je le rappelle, fait qu’ils ne font plus qu’un. Les deux sont considérés Adam. On remarquera d’ailleurs que le péché, la rébellion, la mort ne sont pas rappelés ici. On nous rappelle l’image et la ressemblance divine. On nous rappelle la bénédiction divine. Et cette fusion dans le nom Adam avec l’engendrement de Seth qui suit, confirmera pour qui en doutait que la sexualité n’est absolument pas quelque chose de négatif dans la vision orthodoxe, du moment bien sûr qu’elle implique un homme et une femme dans le cadre du mariage. Ce qui est ici le cas. Seth n’est pas créé ou formé mais bien engendré. Il y a quelque chose de mystique dans l’union, comme l’explique l’apôtre Paul dans son épitre aux éphésiens. Et la sexualité en fait bien évidemment partie.

Une dernière chose, avant de passer à la généalogie proprement dite. Nous avons ici la fondation de toute la civilisation humaine. Nous avons ici une approche historique de la fondation de la civilisation humaine. Le Christianisme est une religion historique, et non pas philosophique. Moïse ne nous donne pas de grands concepts. Il nous dévoile l’histoire du monde. C’est à nous d’en tirer les conclusions du point de vue conceptuel.




La vérité de la LXX sur la TM

3 Adam, âgé de cent trente ans, engendra un fils à sa ressemblance, selon son image, et il lui donna le nom de Seth.
4 Les jours d'Adam, après la naissance de Seth, furent de huit cents ans; et il engendra des fils et des filles.
5 Tous les jours qu'Adam vécut furent de neuf cent trente ans; puis il mourut.


Nous arrivons ici à la partie véritablement généalogique. Elle suit toujours la même structure : et « untel A » âgé de X années engendra « untel B ». Et untel A vécut Y années après avoir engendré untel B. et untel A engendra des fils et des filles. Et tous les jours de untel A furent de X+Y années. Et il mourut.

L’expression « et il mourut » revient tout le temps. La mort est bien installée. La seule exception est le fait qu’on nous précise que Seth est à la ressemblance et l’image d’Adam. Adam a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et ici Seth est créé à la ressemblance et à l’image d’Adam. On notera l’inversion. Il y a quelque chose de Dieu qui reste mais on note une altération. Le péché originel d’Adam passe à ses descendants. C’est cela l’enseignement ici.

Epiphane de Salamine précise dans un de ses commentaires qu’Adam est mort précisément à l’endroit où le Christ a été crucifié. Le Golgotha, qui signifie « lieu du crâne », est le lieu du crâne d’Adam. C’est pourquoi vous pourrez trouver certaines icônes représentant Jésus au sommet d’un crâne. Il s’agit du crâne d’Adam, mort à ce verset.

Jusque Noé nous avons dix fois ces informations chronologiques. Et comme la Bible nous dit quand a eu lieu le déluge par rapport à l’âge de Noé, nous pouvons calculer la date du déluge par rapport à la création du monde. Mais avant de vous donner cette date, il me faut vous parler d’un débat d’une grande importance dans l’histoire de l’Eglise, justement à propos de ce chapitre 5. De quoi s’agit-il ?

Nous avons le texte en hébreu, sur lequel se base beaucoup ce cours. Mais nous avons aussi le texte en grec, appelé « septante », texte de référence de l’Eglise primitive et ensuite de toute la partie orientale hellénophone. Il y a ensuite d’autres textes ou sources, moins normatifs, mais intéressants du point de vue philologique et historique. Quel est le souci ? Et bien, la LXX rajoute des années par rapport à l’hébreu. Quelques 500 ans. Ce qui n’est pas rien tout de même. Ce qui fait que l’on ne peut pas avoir de certitude. Et surtout, un des deux textes se trompe. J’avais expliqué que la LXX est un targoum grec, et elle peut varier pour donner une interprétation. Il ne s’agit pas d’une traduction philologique exacte comme peut l’être Aquila, une autre traduction de l’hébreu vers le grec. Et tout l’enjeu ici va être de savoir qui a raison entre la version en hébreu et la version grecque des LXX. En effet, nous ne sommes pas ici dans le domaine de l’interprétation, où le sens peut être multiple pour chaque verset, un targoum poussant en avant une interprétation particulière. Ici nous sommes dans le domaine historique. Le déluge est unique. Il n’y a pas deux déluges espacés de cinq siècles. Qui a raison ? Saint Jérôme a posé les bases de l’approche qui peut sembler la plus prudente et la plus adaptée en l’occurrence : s’il y a un doute il faut privilégier ce qui est donné par l’original et considérer qu’il y a erreur dans la version traduite des LXX. C’est d’ailleurs un sujet qu’il a beaucoup discuté avec Saint Augustin, l’autre géant de cette époque dans le monde latin. Et si Jérôme dit quelque chose et qu’Augustin dit autre chose, vous comprenez bien que c’est une question ouverte, non tranchée, qui ne remet en rien en cause l’orthodoxie, ni de l’un, ni de l’autre. Pour Jérôme, la terre a aujourd’hui 5782 ans, le déluge a eu lieu en 1646 et le Christ est né en 3761. Pour Augustin la terre a aujourd’hui 7530 ans, le déluge a eu lieu en 2146 et le Christ est né en 5509.

Revenons à la base : Jérôme a raison quand il dit que Moïse a produit son texte en hébreu. Ce texte-là est évidemment celui qu’il convient de privilégier. Mais ce texte-là, nous ne l’avons pas. Scientifiquement, sur un parchemin, nous ne l’avons pas. Nous avons un texte appelé Texte Massorétique (TM) dont l’artéfact le plus vieux, le codex d’Alep, que nous ayons en notre possession date du dixième siècle après Jésus-Christ. Donc rien ne nous permet d’être absolument sûrs que ce codex d’Alep contient ce que Dieu a donné à Moïse sur le Sinaï. C’est ce texte massorétique qui postule un temps plus court ici de 500 ans par rapport à la LXX. Les juifs considèrent que le TM est exactement et rigoureusement le même que celui de Moïse. Nous savons que ce texte était déjà en circulation à l’époque de Saint Jérôme, puisque c’est celui qu’il va utiliser dans sa traduction latine. C’est pourquoi la Bible latine que nous devons à Jérôme suit le comput juif officiel. La King James que nombre protestants tiennent en très haute estime se base aussi sur cette origine massorétique - il vaut mieux ici ne pas dire juive, car la LXX est aussi juive que le texte massorétique. On serait donc tenté de s’aligner sur cela, mais il y a plusieurs gros « mais ».

  • Raison 1 : la LXX a une autorité de par les circonstances de la traduction et la nature même des traducteurs. Il faut bien se souvenir que ce ne sont pas des chrétiens. Ce n’est pas une version chrétienne. C’est une version reçue favorablement par les chrétiens, ce qui n’est pas la même chose. Chaque tribus d’Israël avait envoyé ses 6 meilleurs spécialistes, et ces 72 traducteurs ont chacun donné un déluge en 2146. Tous les juifs hellénophones ont reçu cette information. Nous n’avons aucun écrit qui critique la LXX sur cette question.
  • Raison 2 : les profils psychologiques des personnes dans la traduction, 72 scribes, sont plutôt très probablement des conservateurs. Par nature, un scribe ne va pas spontanément s’amuser à rajouter 500 ans.
  • Raison 3 : dans les manuscrits de la mer morte, trouvés en 1949, on trouve exactement les mêmes chiffres dans Gn 5 que dans la LXX. Et on le trouve en hébreu. Il ne s’agit pas de grec.
  • Raison 4 : on trouve les mêmes chiffres dans le Pentateuque samaritain. Cette torah samaritaine est une version du texte hébreu original avec comme modification théologique principale, le lieu du temple au mont Garizim, pour suivre la théologie politique samaritaine. Ils ont en tout 6000 différences avec la TM mais sont d’accord avec les LXX sur Gn 5.
  • Raison 5 : Flavius Josèphe qui retrace l’histoire des juifs, paraphrase beaucoup la Torah de Moïse et reprend exactement les mêmes chiffres que la LXX sur Gn 5. Dans l’introduction à son ouvrage, Flavius Josèphe précise qu’il traduit depuis l’hébreu.

Résumons : Flavius Josèphe, les samaritains, les scribes de la LXX, les scribes esséniens de Qumran se trompent tous mais avec la même erreur et la TM a raison seule ? hautement improbable. Par contre, le fait de dire que tous se réfèrent à un original hébreu perdu, qui place le déluge en 2146, et qu’il y a eu une altération dans l’unique Torah Massorétique est beaucoup plus probable, altération que Jérôme a malencontreusement propagé dans sa Vulgate, croyant bien faire.


3 questions pour valider l’hypothèse

Question 1 : pourquoi les rabbins ont-ils corrompu leur texte fondateur ? Avant de voir comment le forfait a été accompli, tout crime a toujours un motif. Aussi étonnant que cela puisse paraître, raccourcir cette période est une attaque contre le Christ. Ceci est lié à Sem, qui dans une légende juive est amalgamé à Melkisedek, ce mystérieux personnage que nous verrons en Gn 14, à qui Abraham a donné la dîme de tous ses biens. En effet, si Sem est Melkisedek, alors le passage suivant que Paul a écrit justement aux hébreux est faux : « En effet, ce Melchisédek, roi de Salem, sacrificateur du Dieu Très Haut, -qui alla au-devant d’Abraham lorsqu’il revenait de la défaite des rois, qui le bénit, et à qui Abraham donna la dîme de tout, -qui est d’abord roi de justice, d’après la signification de son nom, ensuite roi de Salem, c’est-à-dire roi de paix, - qui est sans père, sans mère, sans généalogie, qui n’a ni commencement de jours ni fin de vie, -mais qui est rendu semblable au Fils de Dieu, -ce Melchisédek demeure sacrificateur à perpétuité. Considérez combien est grand celui auquel le patriarche Abraham donna la dîme du butin. » (Heb 7:1-4). Car Sem a justement un père et une mère, et ceci est décrit justement au passage suivant. Dans le calcul de la LXX, Sem meurt 500 ans trop tôt pour rencontrer Abraham. Dans le calcul de la TM, cette rencontre devient possible. Cette légende juive était tellement populaire qu’on la retrouve même dans la patristique syriaque, chez Ephrem le syrien par exemple. Ainsi, le but des rabbins a été de valider leur herméneutique, d’affaiblir par répercussion l’herméneutique paulinienne, pour pouvoir dire aux juifs qui hésitaient entre les rabbins et les apôtres : « vous voyez, ce Paul de Tarse raconte n’importe quoi : Melkizedek, alias Sem avait bien un père et une mère. Donc c’est un idiot. Donc celui qui l’a nommé apôtre était également un escroc que nous avons justement condamné ». Ainsi, l’intérêt des rabbins est identifié : ils enlèvent 500 ans et mettent les affirmations chrétiennes en difficulté, sans rien remettre en cause dans le monothéisme en tant que tel. On avouera que c’était bien pensé.

Question 2 : comment ont-ils réussi à corrompre le texte fondateur ? Nous avons vu que les rabbins du Talmud avaient un motif. Mais avaient-ils les moyens de le faire ? Comment remplacer, partout où étaient les textes hébreux avec déluge en 2146, un texte hébreu, discrètement avec 1646 ? Cela paraît compliqué sur le papier. C’est même très honnêtement infaisable. Sauf à un seul moment. Juste après la destruction du Temple de Jérusalem. A partir de cet événement traumatique pour les juifs, tout le judaïsme est totalement bouleversé. Il reste l’Eglise primitive, qui se base sur un déluge en 2146 et Melkisedek distinct de Sem car sans parents humains, et les rabbins pharisiens qui commencent à donner une version à 1646. Les autres courants disparaissent, et avec eux les versions en hébreu en 2146. Les pharisiens ont les seuls scribes. Ils n’ont probablement pas l’impression de falsifier un texte, mais surtout de lutter contre une terrible hérésie : le christianisme. Ils sont la seule autorité exclusivement juive qui reste. Une partie du peuple d’Israël se regroupe autour de cette poignée de rabbins, avec des noms comme Rabbi Akiba. La transmission a donc du changer, exactement à ce moment où la chaine de transmission se concentre autour de quelques individus, que tout est matériellement détruit par les romains (et donc les copies avec 2146 en hébreu), et que ce qui réunit ces individus est un refus absolu du Christ. Le fait qu’ils aient voulu attaquer le Christ, via un des leurs qui les avait trahi rend cette option psychologiquement plausible. Paul était un des leurs auparavant. Ne l’oublions pas. Le plus prometteur d’entre tous. Il se peut donc que d’anciens collègues et partenaires à lui, aient voulu le prendre en défaut, particulièrement sur l’épitre qu’il avait écrit pour les convaincre. Ces attaques ont probablement commencé du vivant de Paul, mais le tour de passe-passe des scribes n’a pu pleinement s’opérer qu’après la mort de Paul, et après la destruction du Temple. On trouve un écho de ces discussions chez Paul, rappelant qu’il ne faut pas : « s’attacher à des fables et à des généalogies sans fin, qui produisent des discussions plutôt qu’elles n’avancent l’œuvre de Dieu dans la foi. » (1 Tim 1:4).

Question 3 : y a-t-il des preuves supplémentaires qui viennent en soutien de cette thèse ? J’en avancerai une biblique et une extra-biblique. La preuve biblique, est l’absurdité de Gn 25:8 dans le comput massorétique. « Abraham expira et mourut, après une heureuse vieillesse, âgé et rassasié de jours, et il fut recueilli auprès de son peuple. » (Gn 25:8). Comment peut-on considérer qu’à son époque cela est beaucoup de jours ? Meurent autour de lui des multi-centenaires. Par contre, dans la logique de la LXX, il est à cette époque-là, bel et bien le plus vieux. Preuve extra-biblique : la tour de Babel et les pyramides égyptiennes ne cadrent pas avec le comput massorétique. Nous verrons ceci au chapitre 10 et 11 cette fois, mais c’est le même souci, où les rabbins de la mishna ont enlevé des années. Il n’y avait pas assez de gens sur terre pour construire la tour de Babel, qui devait être un chantier colossal. Ce chantier devait nécessiter des milliers, des dizaines de milliers de travailleurs. Depuis le déluge, la terre n’était pas assez repeuplée. On en reparlera lors de ces chapitres. Même souci avec les pyramides. Elles sont généralement datées de 2500 ans avant le Christ. Nous sommes très souvent méfiants avec ces preuves liées à l’Egypte et à l’archéologie. Le consensus aujourd’hui voit les pyramides érigées à partir de 2500 avant JC. Dans le comput massorétique, il n’y a pas non plus assez d’égyptiens en Egypte après le déluge pour construire des bâtiments de cette ampleur colossale. Dans le comput de la LXX, il y a suffisamment de temps pour que la population grandisse assez, afin de pouvoir ériger la tour de Babel ou les pyramides.

Avant de conclure définitivement, il faut comme dans toute étude, voir ce qui a conduit Jérôme qui était un grand érudit à privilégier l’autre option. Dans le comput de la LXX il y a une bizarrerie, qui l’a conduit à choisir l’hébreu. Dans la LXX, Méthushela (qu’on connait souvent sous Mathusalem) meurt après le déluge. Et ceci est en théorie, impossible. Nul n’a survécu au déluge. Enfin, nul n’a survécu en dehors de Noé, sa femme, leurs trois fils et les trois épouses de ceux-ci. Mais en dehors de ces huit personnes, nul n’a survécu, et certainement pas Metushelah. L’argument, est, reconnaissons-le, très fort. On peut ainsi comprendre que Jérôme ait choisi l’alternative qu’on lui proposait en hébreu. Il y a ici un problème de manuscrit. Malheureusement, la LXX prend de façon systématique les manuscrits majoritaires qui montrent un Methuselah survivant 14 ans au déluge. Mais nous avons des manuscrits, certes minoritaires, qui le font mourir avant le déluge. Par conformisme et habitude, les LXX en usage perpétuent ce qui est à mon humble avis une erreur de copiste.

Je conclue sur ce point avant de reprendre les versets un à un : les généalogies correctes sont dans la LXX, à part la date de mort de Methuselah qui est erronée. Les rabbins de la mishna ont modifié les dates pour éliminer 500 ans, de façon à valider leur herméneutique qui tire une égalité entre Melkisédek et Sem, et de façon aussi à faire passer Paul pour quelqu’un de non sérieux, discréditant au passage tout le christianisme. L’hébreu reste plus riche au niveau du sens, mais la vérité et le dernier mot appartiennent à la LXX. Le calendrier byzantin de l’Eglise orthodoxe était donc le bon, et c’est le Mont Athos qui dispose de la bonne notion du temps. Nous sommes en 7530. Reprenons l’étude verset par verset. Et cette fois, je mettrais les temps issus de la LXX, puisque nous avons vus que nous ne pouvons pas prendre pour vrai, ceux issus de la TM.



Le destin exceptionnel d'Enoch

6 Seth, âgé de deux cent cinq ans, engendra Énosch.
7 Seth vécut, après la naissance d'Énosch, sept cent sept ans; et il engendra des fils et des filles.
8 Tous les jours de Seth furent de neuf cent douze ans; puis il mourut.
9 Énosch, âgé de cent quatre-vingt-dix ans, engendra Kénan.
10 Énosch vécut, après la naissance de Kénan, sept cent quinze ans; et il engendra des fils et des filles.
11 Tous les jours d'Énosch furent de neuf cent cinq ans; puis il mourut.
12 Kénan, âgé de cent soixante-dix ans, engendra Mahalaleel.
13 Kénan vécut, après la naissance de Mahalaleel, sept cent quarante ans; et il engendra des fils et des filles.
14 Tous les jours de Kénan furent de neuf cent dix ans; puis il mourut.
15 Mahalaleel, âgé de cent soixante-cinq ans, engendra Jéred.
16 Mahalaleel vécut, après la naissance de Jéred, sept cent trente ans; et il engendra des fils et des filles.
17 Tous les jours de Mahalaleel furent de huit cent quatre-vingt-quinze ans; puis il mourut.
18 Jéred, âgé de cent soixante-deux ans, engendra Hénoc.
19 Jéred vécut, après la naissance d'Hénoc, huit cents ans; et il engendra des fils et des filles.
20 Tous les jours de Jéred furent de neuf cent soixante-deux ans; puis il mourut.


J’ai mis tous ces versets directement, sans les commenter, car ils n’ont pas d’intérêt par eux-mêmes, en dehors des nombres, que nous avons vus, et en dehors des noms, que nous étudieront un peu plus loin. Nous arrivons maintenant à un personnage important de ce chapitre, un personnage assez énigmatique : Enoch. A ne pas confondre avec le Enosh, fils de Seth. Il s’agit de Enoch, ‘Hanokh dans la prononciation hébraïque et énok dans la prononciation grecque. Il s’agit de la septième génération. Le texte le présente différemment des autres. Nous n’avons pas à faire à un sethite ordinaire, comme les autres. Voyons de ce que dit la Bible sur lui :

21 Hénoc, âgé de cent soixante-cinq ans, engendra Metuschélah.
22 Hénoc, après la naissance de Metuschélah, marcha avec Dieu deux cents ans; et il engendra des fils et des filles.
23 Tous les jours d'Hénoc furent de trois cent soixante-cinq ans.
24 Hénoc marcha avec Dieu; puis il ne fut plus, parce que Dieu le prit.


Saint Jean Chrysostome fait remarquer que Enoch avait une proximité assez incroyable avec Dieu tout en étant marié : « Que tous écoutent, hommes et femmes, que tous apprennent la vertu du juste, et que personne ne s’imagine que le mariage est un obstacle à ceux qui veulent se rendre agréables à Dieu ; car l’Ecriture divine se propose de nous instruire ici lorsqu’elle nous dit à deux reprises : engendra Mathusala, puis fut agréable lorsqu’elle reprend ce détail et nous dit : Et il fut agréable à Dieu après l’avoir engendré. C’est pour que personne ne considère le mariage comme un obstacle à la vertu. Si nous avons de la tempérance, ni l’éducation des enfants, ni le mariage, ni quoi que ce soit, ne seront un obstacle pour devenir agréable à Dieu. Voyez, en effet, cet homme de même nature que nous ; il n’avait pas reçu la loi, il n’avait pas été instruit par l’Écriture, il n’avait pas de guide pour le conduire à la sagesse. Bien ! il a trouvé en lui-même, dans les ressources de sa volonté, de quoi se rendre agréable à Dieu, pour qu’il soit vivant, encore vivant aujourd’hui, qu’il n’ait jamais connu la mort. Si le mariage, mes bien-aimés, ou l’éducation des enfants était un empêchement à la vertu, le Créateur de toutes choses n’aurait pas fait du mariage un des états de notre vie, pour nuire à nos intérêts premiers, pour nous faire perdre ce qui nous est le plus nécessaire; mais, non seulement le mariage ne fait obstacle à la sagesse que Dieu commande, non seulement il ne nous gêne en rien si nous voulons pratiquer la tempérance. »

Il est toujours important de rappeler ces évidences, surtout pour ces orthodoxes qui se croient inférieurs aux moines. Vous êtes simplement sur un autre chemin. Enoch est cité deux fois dans le NT :
« C’est par la foi qu’Énoch fut enlevé pour qu’il ne vît point la mort, et qu’il ne parut plus parce Dieu l’avait enlevé; car, avant son enlèvement, il avait reçu le témoignage qu’il était agréable à Dieu. » (Heb 11:5)

« C’est aussi pour eux qu’Énoch, le septième depuis Adam, a prophétisé en ces termes : voici, le Seigneur est venu avec ses saintes myriades, pour exercer un jugement contre tous, et pour faire rendre compte à tous les impies parmi eux de tous les actes d’impiété qu’ils ont commis et de toutes les paroles injurieuses qu’ont proférées contre lui des pécheurs impies. » (Jud 14-15)

Ici l’apôtre Jude fait référence au livre d’Enoch. Il convient donc ici de parler du livre d’Enoch, qui sera important au prochain cours, sur les raisons du déluge. Tout d’abord il s’agit de préciser qu’il ne s’agit pas d’un livre canonique. La LXX ne l’inclue pas dans les livres traduits de l’hébreu. Le canon de Laodicée en 364 (canon 60) ne le retient pas non plus en livre canonique pour le corpus des Ecritures. Ce canon de Laodicée n’avait pas non plus retenu l’apocalypse de Jean auquel le temps a rendu justice. Seul l’église orthodoxe éthiopienne incorpore le livre d’Enoch dans son canon scripturaire. Le contenu est une description plus détaillée de la révolte et de la chute des anges dans le sillage de Satan ainsi que des visions eschatologiques à la façon des prophéties de Daniel, Obadiah ou Jean dans son apocalypse. Une dernière chose pour conclure sur ce livre : les spécialistes actuels considèrent ce livre comme un pseudépigraphe. C’est-à-dire qu’il a été rédigé par quelqu’un d’autre, mais a été attribué à Enoch. Deux choses par rapport à cela. Premièrement, cela ne fait jamais de mal de le rappeler : on se demande bien comment ils font pour l’affirmer puisqu’ils n’ont pas de preuves, dans un sens ou dans l’autre. Et deuxièmement, cela peut refléter un enseignement dont un scribe se fait le compilateur.

Revenons à Enoch et à son enlèvement. Les Pères de l’Eglise sont très partagés sur la chose. Il faut dire que le texte est vague. A priori, sa sainteté était tellement éminente que Dieu n’a pas voulu qu’il meure et l’aurait donc emmené directement au ciel. Cette sainteté est précisée dans le biblique par le fait de « marcher avec ». Enoch a marché avec Dieu. Façon de dire proximité, continuité, direction commune, rythme commun. Et cet épisode est au final porteur d’un message fondamental : l’empire du péché qui frappe l’humanité depuis la faute d’Adam n’est pas si fort que cela. L’homme n’est pas systématiquement frappé par la mort. Il peut y échapper. Il était destiné à la vie et à la proximité avec Dieu. Ce mystérieux destin d’Enoch nous rappelle que Dieu est à l’action ; il prépare quelque chose qui sera plus fort que la mort. On notera qu’Enoch vit en tout 365 ans, ce qui ne peut que nous faire penser à l’année solaire. On verra ensuite qu’Enoch a engendré la personne avec la plus grande longévité de toute la Bible : Méthuselah. Enoch brille comme un soleil de sainteté et donne la vie. Ce sont les fruits de la proximité avec Dieu. On notera que ce destin unique d’Enoch d’être soustrait ainsi à la mort et conduit au ciel est partagé avec le prophète Elie, enlevé au ciel sur un char : « Comme ils continuaient à marcher en parlant, voici, un char de feu et des chevaux de feu les séparèrent l’un de l’autre, et Élie monta au ciel dans un tourbillon. Élisée regardait et criait: Mon père! mon père! Char d’Israël et sa cavalerie! Et il ne le vit plus » (2 Ro 2:11-12). Les deux sont donc, selon certaines traditions d’interprétations, non morts. Mais il n’y a pas consensus là-dessus.

Alcuin d’York voit l’annonce prophétique de leur mort dans l’apocalypse de Jean « Je donnerai à mes deux témoins le pouvoir de prophétiser, revêtus de sacs, pendant mille deux cent soixante jours. » (Apo 11:3), car chaque homme doit payer la dette de la faute, et nul ne peut refuser ce que le Christ a lui-même accompli, à savoir mourir ». Augustin leur voit un destin plus heureux, étant déjà au paradis, ayant goûté de l’arbre de la vie éternelle. Saint Jean de Damas enseigne « Mais Enoch et Élie le Thesbite seront envoyés et ramèneront le cœur des pères vers les enfants, c’est-à-dire la synagogue vers notre Seigneur Jésus-Christ et la prédication des apôtres : et ils seront détruits par l’Antéchrist. Et le Seigneur sortira du ciel, tout comme les saints apôtres l’ont vu entrer au ciel, Dieu parfait et homme parfait, avec gloire et puissance, et il détruira l’homme sans loi, le fils de la destruction, par le souffle de sa bouche. » (exposé de la foi orthodoxe 4.28). Enfin Saint Jean Chrysostome, le plus prudent de tous déclare que comme l’Ecriture ne dit pas ce qu’est devenu Enoch, et bien nul ne le sait, et l’on ne peut pas tout savoir.





L'annonce du Christ dans les noms hébreux

25 Metuschélah, âgé de cent soixante-sept ans, engendra Lémec.
26 Metuschélah vécut, après la naissance de Lémec, huit cent deux ans; et il engendra des fils et des filles.
27 Tous les jours de Metuschélah furent de neuf cent soixante-neuf ans; puis il mourut.
28 Lémec, âgé de cent quatre-vingt-huit ans, engendra un fils.
29 Il lui donna le nom de Noé, en disant: celui-ci nous consolera de nos fatigues et du travail pénible de nos mains, provenant de cette terre que l'Éternel a maudite.
30 Lémec vécut, après la naissance de Noé, cinq cent soixante-cinq ans; et il engendra des fils et des filles.
31 Tous les jours de Lémec furent de sept cent cinquante-trois ans; puis il mourut.
32 Noé, âgé de cinq cents ans, engendra Sem, Cham et Japhet.


Si vous vous souvenez au chapitre précédent, il y a eu un Lémec particulièrement mauvais. Ici, ce Lémec sethite constraste totalement avec le Lémec caïnite. On se souvient de lui comme le Père de Noé. Noé sera, vous le savez sûrement, le sauveur de l’humanité, le nouvel Adam d’où tout repart. Comme Adam, il a trois fils dont les noms nous sont connus.

Pour finir ce cinquième chapitre, il convient de voir les dix noms qui nous sont donnés. Cette fois, c’est l’hébreu qui va être porteur d’un sens, que les rabbins n’ont pas vu et n’ont pas pu dissimuler. Le troisième chapitre nous montrait une sorte de proto évangile. Les dix noms lus ensembles réalisent la même chose. C’est à l’américain Chuck Missler que l’on doit cette découverte, et je vais vous donner tous les éléments, pour qu’un connaisseur de l’hébreu puisse voir la véracité de la chose.

Le premier nom de cette généalogie, c’est Adam. Tout le monde sera d’accord pour admettre que cela signifie homme. La référence Strong est 121.
Le second nom de cette généalogie, c’est Seth. La référence Strong est 8352. La racine du mot est Shit 7896, qui signifie mettre en place, positionner, rendre, ou bien accorder, donner. C’est pourquoi Eve dit que Dieu lui a accordé un enfant pour remplacer Abel, et elle le nomme Seth, pour « accordé ». Nous choisirons donc de le lire « rendu ».
Le troisième nom de cette généalogie est Enosh, référence Strong 583. Même orthographe, la référence 582 qui se lit également enosh, et qui signifie « mortel » dans le sens de homme mortel.
Le quatrième nom de cette généalogie est Qainan, référence Strong 7018. Cela peut se considérer dérivé de Qinah, référence 7015, signifiant « regret » ou « lamentation ».
Le cinquième nom de cette généalogie est Mahalalel. Il s’agit de la combinaison de deux mots hébreux : Mahalal, référence Strong 4110, signifiant prière ou bénédiction et El signifiant Dieu. Combinés ensemble on peut donc lire « bénédiction de Dieu » ou « Dieu béni ».
Le sixième nom de cette généalogie est Jared, qui se prononce Yared en hébreu, référence Strong 3382. C’est aussi le verbe descendre en Strong 3381 qui se prononce Yarad dans sa racine. On peut donc lire « descendit ».
Le septième nom de cette généalogie est le fameux Enoch que l’on prononce ‘Hanokh en hébreu (חֲנוֹךְ), référence Strong 2585. ‘Hanokh orthographié différemment mais avec toujours la même prononciation signifie éducation. Je fais simplement sauter le wav, ce qui est tout à fait licite en hébreu : חָנַךְ. Je lis donc « enseignement »
Le huitième nom de cette généalogie est Metushéla’h. Il est lui aussi une combinaison de deux mots hébreux. Le premier est mot (prononcer motte) signifiant mort, référence 4194. Avec le wav on a le pronom possessif et cela devient « sa mort ». Le second est Shala’h de référence 7973, signifiant envoyer. L’envoyé en hébreu est le Shalia’h, traduit en grec par apostolos. On peut aussi traduire par apporter. On lira ici « apportera ».
Le neuvième nom est Lamekh, le père de Noé, de référence 3929. Il faut se concentrer ici sur Mekh מך qui signifie pauvre, désespéré. Le lamed originel est la préposition « pour », « à ». On lira donc « aux désespérés ».
Dernier nom, Noé, dont le texte nous explique qu’il signifie « réconfort », « repos ». Son nom vient du verbe Noua’h, référence Strong 5118, signifiant « se reposer ». On lira donc « repos ».
Reprenons nos dix noms avec nos choix de lecture : homme rendu mortel lamentation Dieu béni descendit enseignement sa mort apportera aux désespérés repos. Ainsi, ce n’est pas faire violence à ces quelques mots que d’en rajouter quelque uns pour rendre ceci un peu plus digeste et élégant. La phrase suivante émerge : homme rendu mortel et lamentation. Mais le Dieu béni descendit enseigner. Sa mort apportera aux désespérés le repos. Je reformule une nouvelle fois, depuis cette base : « à l’homme avait été donné la mort et la lamentation. Mais le Dieu béni descendit enseigner et sa mort apportera le réconfort aux désespérés ». Vous je ne sais pas, mais moi, cela me fait penser à quelque chose… C’est bien évidemment un condensé de toute la Bible, caché dans ces noms.


Conclusion

Voilà pour ce chapitre 5. Un chapitre qui n’y parait pas comme cela, mais qui est finalement très riche du point de vue théologique et historique. Vous voyez que les embuches pour la juste compréhension du texte sont nombreuses, et qu’il est facile de se faire abuser. Même les plus grands sont tombés dans des pièges. Et c’est là que l’on voit finalement que les conciles doivent être notre boussole, même sur des choses qui ne semblent pas dogmatiques, ou seulement de façon périphérique. Le sixième concile a entériné officiellement l’année depuis la création du monde en partant depuis la version des LXX, et l’a fait bien après que Jérôme ait fait son choix de Hebraica Veritas pour sa Vulgate. Ainsi, d’une certaine façon, l’Esprit avait parlé et avait tranché la question. Il est bien évidemment toujours agréable de comprendre via la rationalité ce que dit l’Esprit au-delà de toutes les considérations humaines. Mais il faut aussi parfois savoir accepter ce que dit l’Eglise sans le comprendre. A bientôt pour le prochain cours qui tentera de percer le pourquoi du déluge. A bientôt dans les catacombes.