Faut-il lire Alma ou Parthenos ?

Certaines bibles rapportent “jeune fille” et d’autres “vierge” dans la traduction de la prophétie d’Isaïe. Certains soupçonnent que les bibles donnant “jeune fille” soient modernistes et amputent quelque chose de la révélation chrétienne. Surtout que saint Jérôme pousse “virgo” bien qu’il déclare se baser sur l’hébreu. Voici quelques éléments pour comprendre de quoi il s’agit véritablement. Les bibles basées sur l’hébreu donnent “jeune fille” et celles sur le grec des LXX “vierge”. Il n’y a pas d’amputation ou de régression à vouloir donner la prophétie en hébreu : c’est tout de même ce qu’a dit Dieu à Isaïe et qui est consigné dans le livre d’Isaïe !!

Les textes originaux et leur traduction littérale

Voici le texte hébreu (pour les lecteurs hébraïsants, et les curieux) :

לָ֠כֵן יִתֵּ֨ן אֲדֹנָ֥י ה֛וּא לָכֶ֖ם א֑וֹת הִנֵּ֣ה הָעַלְמָ֗ה הָרָה֙ וְיֹלֶ֣דֶת בֵּ֔ן וְקָרָ֥את שְׁמ֖וֹ עִמָּ֥נוּ אֵֽל

En mot à mot cela se traduirait ainsi :

Voici il donnera Adonai (YHWH) Lui à vous signe – voici la alma deviendra enceinte et portera un fils et elle appellera son nom avec nous El (Imanouel).

En grec on a :

διὰ τοῦτο δώσει Κύριος αὐτὸς ὑμῖν σημεῖον· ἰδοὺ ἡ παρθένος ἐν γαστρὶ ἕξει, καὶ τέξεται υἱόν, καὶ καλέσεις τὸ ὄνομα αὐτοῦ ᾿Εμμανουήλ·

En mot à mot cela se traduirait ainsi :

Voici donnera le Seigneur Lui-même à toi un signe - voici la parthenos dans le ventre concevra, et portera un fils, et elle appellera nom de lui Emmanuel

C’est sensiblement la même chose avec deux variantes à noter : Imanou El est devenu un seul mot, un seul nom : Emmanuel. Et surtout, le sujet de la suspicion ici des lecteurs qui voient des manipulations, Alma est devenu Parthenos. Le grec de Parthenos est très précisément vierge. Tandis qu’Alma ne signifie pas vierge. Jérôme a choisi de rester fidèle à la précision des LXX plutôt que d’être philologue de l’hébreu. Et il a bien raison. Mais encore une fois c’est un choix. Si l’on veut connaître, et c’est également important, ce que Dieu a dit à Isaïe, c’est Alma. Si Dieu avait voulu parler d’une vierge, il est probable qu’il aurait utilisé le mot betoula qui signifie vierge en hébreu. Ce qui est criminel ici est la note de la T.O.B. en bas de page. La note devrait faire au moins une demi page pour donner tout le contexte : le texte hébreu original, la précision des LXX, l’histoire de cette traduction, et l’utilisation que Matthieu en fait dans son évangile. Une fois de plus, les bibles modernes laissent le lecteur seul, sans tradition ecclésiale et ceci est absolument coupable.

Que signifie Alma ?

Alors maintenant essayons de comprendre alma – parthenos. Une bonne façon de faire, est de voir les occurrences du mot Alma dans la Bible. Qu’est-ce qu’une Alma au juste ? Alma est la référence Strong 5959 et les lexiques nous disent qu’Alma apparaît 7 fois dans la Bible. La première occurence est en Gn 24:43 : « voici, je me tiens près de la source d’eau, et que la jeune fille qui sortira pour puiser, à qui je dirai: Laisse-moi boire, je te prie, un peu d’eau de ta cruche, et qui me répondra: Bois toi-même, et je puiserai aussi pour tes chameaux, que cette jeune fille soit la femme que l’Éternel a destinée au fils de mon seigneur! » (Gn 24:43-44). Quel est le contexte ? Abraham a envoyé son serviteur Eliezer pour chercher une épouse digne de ce nom pour son fils Isaac. Eliezer est parti dans la zone géographique où habite le clan d’Abraham, car il ne veut pas qu’Isaac épouse une cananéenne. Et Eliezer, arrivé près du puits joue en quelque sorte à ce petit jeu un peu superstitieux : si jamais il y a une jeune fille qui vient et qui fait telle et telle chose, alors ce sera elle qui épousera Isaac. Eliezer va demander à boire pour lui, et il va attendre de voir si une jeune femme lui proposera à boire mais aura aussi la volonté de lui offrir à boire pour ses nombreux chameaux. Cela revient à dire : si jamais une jeune femme arrive et fait une proposition d’une générosité un peu stupéfiante, alors c’est elle qu’il faut. En effet, cela revient à puiser de l’eau, pendant des heures, pour un parfait inconnu. Normalement, personne ne fait ça. Donc, une alma, dans le contexte biblique c’est une jeune femme qui se distingue par une générosité qui est totalement hors-norme.

La seconde fois est en Exode 2:8 : « Va, lui répondit la fille de Pharaon. Et la jeune fille alla chercher la mère de l’enfant. ». Redonnons encore une fois le contexte. Pharaon a décidé de tuer tous les enfants mâles des hébreux. Moïse vient juste de naître. Sa mère le cache dans une petite caisse qu’elle met sur le Nil. De façon providentielle la fille du Pharaon découvre la caisse et veut sauver l’enfant. La jeune fille en question est ici la sœur de Moïse qui surveille le destin de son petit frère. Il est de notoriété publique que cette seconde Alma de la Bible s’appelle Myriam. La Theotokos s’appelait Myriam. Myriam, la sœur de Moïse, permet la naissance du libérateur d’Israël. En grec, le terme n’est pas rendu par Parthenos, mais par néanis : ἡ δὲ εἶπεν ἡ θυγάτηρ Φαραώ· πορεύου. ἐλθοῦσα δὲ ἡ νεᾶνις ἐκάλεσε τὴν μητέρα τοῦ παιδίου.

La troisième occurrence est dans le psaume 68:25 en hébreu, dont l’équivalent grec est 67:26. Ici aussi en grec il n’y a pas de Parthenos, mais neanidon, le pluriel du mot grec neavis vu en exode : ροέφθασαν ἄρχοντες ἐχόμενοι ψαλλόντων ἐν μέσῳ νεανίδων τυμπανιστριῶν. Quel est le contexte : Dieu donne la victoire à son peuple et les jeunes filles participent à la liturgie de célébration de la victoire contre les forces du mal.

Il y a deux occurrences dans le cantique des cantiques, qui ne permettent pas de progresser dans la compréhension de ce qui nous intéresse. Je laisse donc ces occurrences de côté.

L’occurrence suivante est dans le livre des proverbes : « Il y a trois choses qui sont au-dessus de ma portée, même quatre que je ne puis comprendre: la trace de l’aigle dans les cieux, La trace du serpent sur le rocher, La trace du navire au milieu de la mer, et la trace de l’homme chez la jeune femme (alma). » (Pro 30:19). On voit ici que Alma n’est pas exclusivement quelque chose lié à la virginité, puisqu’ici il est question de la semence de l’homme laissée dans le corps de la femme. On voit que la Bible a une façon pudique de parler de ces choses-là, mais c’est bien de ce dont il s’agit. Et c’est là qu’il serait dommage de se priver de l’hébreu car il y a quelque chose de merveilleux dans l’hébreu : וְדֶ֖רֶךְ גֶּ֣בֶר בְּעַלְמָֽה. Littéralement « et le chemin du guéver dans la alma ». Le guéver n’est pas un homme ordinaire. C’est un guerrier. Un homme puissant. C’est celui qui est fort. Il est l’archétype de l’homme fort. On sait que la plupart des noms des anges sont du type quelque chose – El. Ceci donne des noms du type Gabriel, Raphaël, Michael, etc. C’est souvent une aptitude de Dieu, un comportement de Dieu, un attribut de Dieu qui va servir à nommer l’ange. Raphaël c’est Rephoua-El, la guérison de Dieu, Dieu qui guérit. Et bien pour Gabriel, l’ange de l’annonciation à Marie, l’étymologie hébraïque de son nom est Guever – El, la force de Dieu. Gabriel est l’ange qui, d’après son nom, représente la puissance divine, la force de l’Eternel. Et bien nous dit Salomon dans ses proverbes, la façon dont les hommes fécondent les femmes, il y a une alma où cela est incompréhensible en relation avec un Guever.

Retournons maintenant à Isaïe 7:14. Essayons déjà de voir le contexte. Ce qui est dommage dans le fait de se jeter sur le Parthenos, et de ne voir que lui, est que l’on perd tout le reste de ce que Dieu a laissé dans les textes pour nous dévoiler ce prodigieux mystère marial. Le prophète Isaïe donne ici au roi Achaz une prophétie de Dieu. Achaz est un roi de Juda du 8ème siècle avant le Christ. Son vrai nom est Joachaz et on trouve mention de lui dans les Ecritures dans le second livre des rois, dans le second livre des chroniques, et dans le premier chapitre de l’évangile de Matthieu, dans cette grande généalogie que nous lisons à Noël. En terme de prophète, il a connu Isaïe et Michée. C’est un roi particulièrement mauvais et impie. La situation politique est compliquée pour lui et il ne sait comment agir entre le royaume du Samarie, le royaume de Damas et les assyriens. Isaïe vient lui délivrer le message de la volonté divine, et lui propose de demander un signe pour bien vérifier l’origine divine de la prophétie. Achaz refuse, et Isaïe ajoute alors ce qui est retranscris dans le verset 7:14 : Dieu donnera néanmoins un signe, que tu le veuilles ou non, et ce sera le fait que cette Alma sera enceinte d’un garçon qui permet la présence de Dieu avec nous. Ce garçon sera Ezekias, l’un des plus grands rois, sinon le plus grand roi d’Israël. Ezekias c’est la restauration du Temple de Jérusalem souillé par les rois précédents dont son père, c’est le retour au strict monothéisme mosaïque et la fin de l’idolâtrie et du polythéisme, c’est la recherche effrénée de la paix avec l’empire assyrien, et enfin devant l’impossibilité de la paix avec celui-ci, la victoire militaire providentielle donnée par Dieu qui détruit l’armée assyrienne devant Jérusalem.



Synthèse sur Alma

Donc qu’avons-nous si nous restons au portrait-robot disponible dans la Bible en hébreu sur alma :

  • Par la Genèse, nous savons que c’est une femme d’une générosité sans commune mesure, seule digne à épouser et donc devenir membre de la lignée choisie par Dieu pour renverser les forces du mal
  • Par l’exode nous savons que c’est une femme qui se prénomme Myriam et qui permet la naissance de celui qui va sauver Israël
  • Par le livre des proverbes nous savons que c’est une femme dont même le roi le plus sage qu’ait eu Israël ne comprend pas comment Gabriel est impliqué dans l’engendrement qu’elle va accomplir.
  • Par le livre des psaumes nous savons qu’elle sera aux première loges pour se réjouir de la victoire eschatologique de Dieu sur les forces du mal.
  • Et enfin par le livre du prophète Isaïe nous savons qu’il s’agit de celle qui va mettre au monde le libérateur d’Israël, le plus grand roi d’Israël, celui qui va permettre une incroyable victoire contre les forces du mal



L'ajout des LXX

Voilà où nous en sommes en terme de révélation si nous nous en tenons à l’hébreu. Nous qui connaissons la Toute-Sainte, nous l’avons déjà reconnue. Les Sages de la LXX, mus par le même esprit que ceux qui avaient écrit la parole de Dieu, à savoir ici, Isaïe, Moïse, David et Salomon, précisent le portrait. Ils ajoutent cette mention qui frise l’absurde et qui ne devient compréhensible que lorsque nous sommes passés par la naissance virginale : cette Alma sera vierge. Et bien évidemment ici, lorsque nous partons de son portrait dans l’hébreu, il était évident qu’elle était vierge avant de concevoir. Il était évident que Rebecca, que Myriam la sœur de Moïse, que les jeunes femmes qui étaient au plus près du sanctuaire céleste étaient vierges. Mais il était absolument normal de penser, comme ce que nous indiquait les proverbes et le livre d’Isaïe que nous aurions à faire à une conception passant par des rapports intimes, avec une femme qui était vierge avant cette union. Et c’est là que les Sages de la LXX écrivent, peut-être sans bien comprendre, qu’elle est vierge. Le grec nous dit bien que c’est une vierge qui devient enceinte, c’est-à-dire une impossibilité logique. Une alma qui devient enceinte, nous pouvons le conceptualiser : c’est la marche normale des choses. Mais une vierge, par définition ne peut pas devenir enceinte. Et c’est ensuite le génie de Matthieu que de relier le tout dans l’Evangile où il indique cette prophétie des LXX est maintenant accomplie.

Conclusion

J’en reviens maintenant à la question évoquée par ceux qui suspectent une manipulation moderniste. Il est fort possible que les traducteurs par modernisme, que les catholiques romains par une sorte de main tendue aux protestants, veuillent privilégier le texte hébreu originel qui ne mentionne pas la virginité. Il me semble également qu’une bible orthodoxe francophone sérieuse devra faire le choix ici de privilégier la version grecque sur ce mot précis. Mais il faudra accompagner ce verset d’une explication détaillée, car ici l’enjeu est de ne pas enfermer Marie dans sa virginité. Elle ne se réduit pas à cela. D’une certaine façon, ce miracle est davantage celui de Dieu que le sien. La note accompagnant la traduction devra renvoyer à Rebecca et montrer que Marie était une personne d’une générosité, d’une abnégation, d’un effacement, d’une pudeur, d’une grandeur spirituelle absolument sans commune mesure, et que ceci doit être connu. La note accompagnant la traduction devra montrer qu’elle est liée à Myriam, et par le prénom et par le fait qu’elle sauve l’envoyé de Dieu. La note devra montrer qu’elle a une place éminente près du trône divin, dans l’acte liturgique. La note devra montrer cette relation à Gabriel qui est incompréhensible au plus sage des sages. Et la note devra expliquer le contexte avec Ezekias et tout ce que j’ai rapporté avant. La Mère de Dieu c’est aussi tout cela. Ce n’est pas une jeune femme que Dieu a choisi par hasard pour surpasser les règles de la nature. Même si dans tout cela on ne peut effacer la grâce divine, il n’est pas interdit de penser que c’est cette immensité spirituelle de Marie qui a fait dire à Dieu que le temps était venu pour lui de s’incarner.