Exégèse biblique : livre de la Genèse chapitre 11 : la troisième rebellion humaine

La troisième rebellion humaine
La langue unique
En hébreu littéral on peut dire « avait toute la terre lèvre unique et mots uniques »
En grec littéral on peut dire « et avait toute la terre lèvre une et voix une tous »
Ce qui est intéressant est que les traducteurs modernes nous parlent tous d’une langue unique, mais Moïse et les sages de la LXX parlent de lèvre. Le terme hébreu Safa (שָׂפָה) et Keilos (χεῖλος) en grec veulent tous les deux dire aussi un rivage, et également les deux peuvent signifier une langue mais déjà de façon non littérale. Le plus souvent dans la Bible, la lèvre est une sorte de synonyme du fait de parler. Dans l’exposé de la prédication apostolique, Irénée note le terme lèvre : « Or, à cette époque, il n’y a qu’une seule lèvre sur toute la terre, c’est-à-dire une seule langue ». Les Pères le comprennent tous de la même façon : la langue des fils de Noé fut un moment unique, avant d’être séparée par Dieu en de multiples langues.
Nous ne savons pas quelle était cette langue. Ambrosiaster dans la patristique est persuadé qu’il s’agit de l’hébreu. La tradition rabbinique postule également que c’était l’hébreu. Où plutôt que c’était l’hébreu avec quelques mots étrangers. L’idée ici est que Dieu aurait fait ensuite, en quelque sorte, exploser la première langue, et que les langues furent toutes créées à partir de cette première langue, qui contenait 99% de l’hébreu, la langue sainte. Il est intéressant de voir Rachi, le célèbre commentateur français médiéval, expliquer que tel ou tel mot de la Torah n’est pas de l’hébreu, mais un mot étranger, ce qui ne saute pas aux yeux du non hébraïsant. L’idée ici est que cette langue première contenait toutes les autres langues, et que la Torah en a gardé la trace à sa façon.
Ce qui parait sûr, est que cette langue fut celle dans laquelle Dieu interdit le fruit défendu à Adam, dans laquelle Abel et Cain se disputèrent, etc.
Dans le verset, la répétition est intéressante. Si on a la même langue, on a les mêmes mots. Il n’est pas besoin de le préciser. L’idée qui est véhiculée derrière cette répétition est que tous pensaient la même chose. Ils n’avaient qu’un seul discours. C’est la suite du texte qui va nous montrer de quoi il s’agit. La torah ici nous montre ce qu’est un système totalitaire absolu : c’est lorsque tous ne font qu’un. Ils disent tous la même chose. Ils pensent tous la même chose. Ils font tous la même chose. C’est le préalable à une organisation parfaite et implacable. On voit donc ici ce que Nimrod, et je vous renvoie au cours du chapitre 10, ce que Nimrod a mis en place, qui est d’une effroyable efficacité.
La tour de Babel
3 Ils se dirent entre eux: " Allons, faisons des briques, et cuisons-les au feu. " Et ils se servirent de briques au lieu de pierres, et de bitume au lieu de ciment.
4 Ils dirent encore: " Allons, bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet soit dans le ciel, et faisons-nous un nom, de peur que nous ne soyons dispersés sur la face de toute la terre. "
L’humanité part à la recherche d’une plaine à l’orient, et trouve la plaine de Shin’ar (שִׁנְעָר) en hébreu et Senaar (σεννααρ) en grec. On se souviendra qu’au chapitre précédent, cette plaine était celle où Nimrod fondait les villes constituant son empire : « Le commencement de son empire fut Babel, Arach, Achad et Chalanné au pays de Sennaar. » (Gn 10:10). Il n’est pas possible de tracer une équivalence Sumer Shinar. Sumer est la région tout au sud de la mésopotamie, où l’on parlait le dialecte sumérien. Le plus logique sera donc de considérer que la plaine de Shinar est la plaine qui entoure la ville de Babylone, et qu’elle a été choisie par Nimrod car elle répondait aux critères qu’il recherchait. On va les comprendre immédiatement avec l’explicitation de leurs objectifs.
On voit qu’ils construisent des briques. C’est exactement le même mot utilisé ensuite dans l’Exode lors de l’esclavage par Pharaon. Les hébreux faisaient des briques pour les égyptiens. Ici, l’humanité entière fait des briques. Le verset nous donne une idée de l’importance de l’opération mise en place. Si Shinar est une plaine, par définition elle n’a pas de pierre, et aucun des matériaux de base qui peuvent servir à réaliser les briques et le bitume en question. Nimrod a mis en place toute une logistique, avec des moyens de transports, certes antiques, mais on peut imaginer quelque chose d’énorme et de redoutablement bien organisé.
C’est le verset 4 qui nous donne le pourquoi de tout cela. Cela mérite donc une double traduction littérale.
En hébreu on aurait « et ils disaient, allons, construisons pour nous une ville et une tour et le sommet dans les cieux. Et faisons pour nous un nom de crainte loin sur la face de la terre »
En grec on aurait « et ils disaient voici construisons pour nous une ville et une tour et la tête était jusqu’au ciel et faisons-nous un nom avant d’être dispersés sur la face de toute la terre ».
Le grec donne le verbe manquant sur la dispersion qui semble coller à la phrase en hébreu. Le motif profond est double : le sommet de la tour doit atteindre les cieux et il y a un nom à poser dans l’éternité. Les cieux sont bien évidemment la demeure de la divinité. Construire une tour qui monte jusque dans les cieux, c’est évidemment la manifestation d’une révolte contre Dieu. Et il ne s’agit pas de quelque chose de symbolique. Je rappelle que dans la cosmologie biblique, Dieu est vraiment dans les cieux, au-dessus du dôme qui recouvre le monde. Les babyloniens, emmenés par Nimrod veulent faire une sorte de coup d’état céleste. On voit donc immédiatement qui inspire Nimrod. Le problème du nom revient donc à rentrer dans l’histoire, à devenir fameux, inoubliables, éternels au travers non pas de la vie divine issue de l’union à Dieu, mais bien éternels grâce à la trace historique que souhaitent laisser les constructeurs de la tour.
Saint Jean Chrysostome commente : « Il y a encore maintenant bien des gens qui les imitent et qui veulent éterniser leur nom par des travaux semblables, en construisant des palais, des bains, des portiques ou des promenades. Si vous demandez à un de ces hommes pourquoi il travaille et se fatigue ainsi, pourquoi il dépense tant d’argent et aussi inutilement, il vous répondra aussi que c’est pour sauver sa mémoire de l’oubli et pour que l’on dise que c’est sa maison ou son champ. Mais ce n’est pas là glorifier sa mémoire, c’est plutôt l’accuser. Car ce nom sera suivi aussitôt de mille qualifications injurieuses; on dira qu’un tel est avare, avide, spoliateur de la veuve et de l’orphelin. Ce n’est donc pas là se faire un nom, mais se mettre en butte à d’éternelles accusations qui poursuivent même après la mort et aiguiser les langues pour maudire et condamner la possession de tous ces biens. Si vous tenez absolument à laisser un souvenir ineffaçable, je vous montrerai le chemin pour y parvenir tout en vous ménageant des éloges et des bénédictions même dans l’avenir. Comment pourrez-vous donc faire parler de vous chaque jour et mériter des louanges même après avoir quitté cette vie ? C’est en distribuant ces richesses aux pauvres, sans vous occuper de pierres, de palais, de campagnes et de bains. Voilà un souvenir immortel, voilà un souvenir qui vous procure mille trésors, qui vous aide à porter le poids de vos péchés et vous réconcilie avec Dieu. Songez, je vous prie, aux noms que chacun vous donnera, en vous appelant compatissant, humain, doux, généreux, inépuisable dans ses charités. Il a donné, partagé son bien aux, pauvres. Sa justice demeure éternellement. (Ps. III, 9.) Voilà ce qui arrive des richesses ainsi répandues, elles subsistent, mais accumulées et renfermées, elles perdent leur maître avec elles. Il a donné, partagé son bien aux pauvres. Mais remarquez la suite. Sa justice demeure éternellement. Il a distribué ses richesses en un jour, mais sa justice demeure dans l’éternité et rend sa gloire immortelle.
Vous avez vu quel est ce souvenir qui s’étend jusqu’à l’éternité, ce souvenir qui procure des biens immenses et inépuisables. Cherchons donc à nous éterniser par des travaux de cette nature; car les travaux de pierres entassées non-seulement ne peuvent nous profiter, mais élèveront la voix contre nous comme un monument d’infamie. Nous partons en emportant tous les péchés dont tous ces édifices ont été l’occasion pour nous; mais quant aux édifices eux-mêmes, nous les laissons, et nous n’avons même pas la frivole et inutile consolation d’y laisser notre nom, nous n’en retirons que des accusations, et bientôt on les appellera du nom d’un autre. En effet, c’est ce qui arrive : une propriété passe d’un premier maître à un second, puis d’un second à un troisième. Aujourd’hui la maison porte un nom, demain elle en porte un autre, le jour suivant un autre encore. Nous nous trompons volontairement croyant avoir une propriété tandis que ce n’est qu’un usufruit et que, bon gré, mal gré, il faudra le laisser à d’autres. Ce ne sera pas toujours à ceux que nous aurions choisis, mais je n’insiste pas là-dessus. Mais si vous avez une telle passion de célébrité, si vous attachez tant de prix au souvenir, voyez celui que les veuves avaient gardé de Tabitha, comment elles entouraient Pierre en pleurant et en montrant les tuniques et les robes que cette Dorcas leur avait faites quand elle vivait parmi elles. Après qu’elles eurent entouré Pierre en pleurant à chaudes larmes, en se rappelant la nourriture et les secours qu’elles recevaient, Pierre les fit sortir toutes, se mit à genoux et pria; après l’avoir ressuscitée il rappela les saints et les veuves et la leur présenta vivante. (Act. IX, 39, 41.) Si donc vous voulez que votre souvenir demeure; si vous aimez la véritable gloire, imitez cette femme. Laissez des monuments semblables, non pas construits avec des matériaux achetés à grands frais, mais en déployant toute votre charité envers vos semblables. C’est là une mémoire digne d’éloges et véritablement profitable ! »
Les rabbins amènent une idée intéressante : il y avait chez les babyloniens une peur d’un nouveau déluge. Le souvenir du cataclysme était toujours présent, mais visiblement la promesse de Dieu de ne plus susciter un nouveau déluge avait été oubliée. Ou bien Nimrod avait réussi à rendre douteuse la parole divine. La tour avait aussi une fonction de protection en cas de nouveau déluge. On dira que c’est absurde, mais ceci ne rend pas la Bible absurde. Pas le moins du monde. Au contraire elle montre que des sociétés entières peuvent être bâties sur des fables et des idioties. Il est aussi intéressant, et presque comique de montrer que les constructeurs de la tour de Babel voulaient entrer dans l’histoire et ont d’une certaine façon réussis. Ils sont dans le livre central pour l’humanité qui reconnait le vrai Dieu.
Autre chose sur laquelle nous n’avons pas de certitude : la forme de la tour. Il semble peu probable que nous ayons une tour du type tour cylindrique. Une forme qui semble avoir la prédilection des architectes de l’antiquité, et ceci partout sur la terre, c’est la pyramide, ou la ziggourat. Il se peut que Babel fut la matrice de toutes ces pyramides et ziggourats, et que les suivantes soient une évocation lointaine de cette première si marquante et si déterminante.

Dieu confond les langues
6 Et YHWH dit: " Voici, ils sont un seul peuple et ils ont pour eux tous une même langue; et cet ouvrage est le commencement de leurs entreprises; maintenant rien ne les empêchera d'accomplir leurs projets.
7 Allons, descendons, et là même confondons leur langage, de sorte qu'ils n'entendent plus le langage les uns des autres. "
8 C'est ainsi que YHWH les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville.
9 C'est pourquoi on lui donna le nom de Babel, car c'est là que YHWH confondit le langage de toute la terre, et c'est de là que YHWH les a dispersés sur la face de toute la terre.
On voit sur ces 5 versets la réponse de Dieu à l’entreprise de Nimrod. Le premier des versets est déjà étonnant par rapport à l’état d’omniscience divine. On se demande pourquoi Dieu a besoin de descendre, comme si cela allait l’aider à mieux voir ce qu’étant Dieu, il connaît déjà parfaitement. Nombreux sont les adeptes de la lecture rationaliste qui prennent ce genre de versets pour montrer une naïveté biblique. Pourtant le verbe hébreu, yarad (יָרַד) signifie bien descendre. De même en grec, le verbe katabaino (καταβαίνω) n’est pas ambigu. Il ne signifie que descendre. Pareil pour le verbe signifiant voir. Aucune ambiguïté nulle part. La tradition rabbinique explique bien évidemment que Dieu n’a pas besoin de descendre, et considère donc qu’il faille comprendre autre chose ici. Rachi rapporte le midrash Tanhuma qui explique que cela intime au juge de ne pas proclamer de culpabilité avant d’avoir bien étudié le cas jugé. Ce qui est intéressant, est que ce midrash date du cinquième siècle, et qu’il est tout de même très proche de ce passage de SJC sur ce verset : « Voyez comme l’Ecriture s’exprime au point de vue humain. Le Seigneur Dieu descendit. Ne comprenons point cela d’une manière purement humaine, mais comme une leçon, pour nous montrer qu’il ne faut jamais condamner légèrement ses frères et qu’il ne faut point juger seulement sur des propos vagues, mais s’assurer par des preuves certaines. Telle est toujours l’intention de Dieu, et c’est pour instruire le genre humain qu’il s’abaisse jusque notre langage. Et le Seigneur Dieu descendit pour voir la ville et la tour. Vous voyez qu’il ne réprime pas leur folie dès l’abord, il fait preuve d’une grande patience et attend que toute leur perversité se soit montrée dans leur œuvre avant de s’opposer à leurs efforts. Afin qu’on ne puisse pas dire que tout était resté en projet dans leur esprit, mais qu’ils n’avaient rien entrepris. Dieu attend qu’ils aient en effet commencé leur ouvrage, pour montrer combien leur tentative était insensée. Et le Seigneur Dieu descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Voyez l’excès de sa miséricorde ! s’il les a laissés travailler et se fatiguer, c’était afin que l’expérience fût pour eux une instruction suffisante. Mais quand il vit que leur malice augmentait et que le mal gagnait toujours, il montra encore sa bonté en les empêchant de continuer, de même qu’un bon médecin, quand il voit le mal s’accroître et la plaie devenir incurable a recours à l’amputation pour enlever la cause de la maladie. Et le Seigneur Dieu dit : Cette race n’a qu’une langue, la même pour tous. (c’est-à-dire le même langage, le même idiome.) Ils ont commencé cette œuvre et ne cesseront pas de travailler à leur entreprise. » (SJC – homélie 30 sur la Genèse)
Une possibilité à ne pas éliminer est l’ironie de Dieu ici. Ils voulaient monter jusqu’au ciel, mais c’était un peu court : j’ai dû descendre pour aller voir ce projet douteux…
Concernant le verset 6, le commentaire de saint Justin Martyr est le suivant « Ne pouvait-il pas faire naître tous les hommes à la fois et en un même moment? Mais il trouva plus digne de lui de créer l’ange et l’homme entièrement libres d’observer ou non les règles de justice qu’il leur avait données, et de les laisser jouir de cette liberté tout le temps qu’il le jugerait convenable. Il trouva également plus digne de lui d’établir un jugement particulier et un jugement général, sans toutefois porter atteinte au libre arbitre. C’est pourquoi l’Écriture, au sujet de la confusion de langage et de la multitude d’idiomes qui suivit la construction de la tour de Babel, s’exprime en ces termes : ‘Le Seigneur dit : Ils ne forment qu’une race, ils n’ont qu’une seule langue ; ils ont commencé, et ils ne cesseront pas jusqu’à ce qu’ils aient accompli leur dessein’ »
Ici saint Justin cite et explique à la fois : les hommes sont libres et ils ont fait un mauvais usage de leur liberté. Ce n’est pas la première fois. De façon collective, c’est même la troisième fois. La première fois, c’était dans le jardin d’Eden. La collectivité humaine était réduite : Adam et Eve. Mais ils ont tous deux désobéi à Dieu. Puis le déluge où les filles des hommes ont librement consenti des unions contre nature. Et ici, on peut dire que c’est toute l’humanité, puisqu’il est question des fils d’Adam. C’est la troisième grande rébellion contre Dieu. Il est important de ne pas se focaliser exclusivement sur le premier péché, le péché originel. Le déluge et la dispersion sont deux événements assez centraux qui montrent la nature de la rébellion humaine. Au jardin, Adam et Eve ont été dupé par le serpent. Avant le déluge, ils se sont unis avec le serpent, puisqu’on parle de mariage et d’enfantement de créatures non humaines, ce qui causa le déluge. Et enfin, ici à Babel, l’humanité entière s’est unie contre Dieu. Le texte, si on le lit de façon neutre et superficielle peut donner l’impression que Dieu réagit pour préserver son pouvoir. Il veut empêcher l’homme de parvenir au ciel. Mais cette fois il ne va pas utiliser de sanction aussi terrible que le déluge : il va confondre les langues. C’est ce qui est indiqué au verset 7. D’un simple point de vue de la littéralité, Dieu a demandé à l’humanité de se disperser et de repeupler le monde. Dieu avait dit « Soyez féconds, multipliez et remplissez la terre. » (Gn 9:1) ce qui est très éloigné de « Soyez féconds, restez tous au même endroit et faites une tour pour rejoindre mon domaine ». Donc Dieu fait respecter son commandement d’une façon non coercitive. Et cette confusion des langues est la réponse à une énigme évolutionniste majeure : n’importe quelle espèce a un système de communication, qui lui est universel. Un chat d’Australie comprendra un chat du Canada, et une abeille de Sibérie comprendra une abeille d’Amazonie. Il n’y a que chez l’homme qu’on puisse trouver cette étrangeté de la multiplicité des langues. Ici la Bible nous donne la raison de cette étonnante diversité. Les linguistes aujourd’hui affirment qu’en étudiant les dizaines de milliers de langues et dialectes existant, on retourne dans le passé à 94 langues différentes sans parenté. Il me semble probable, qu’en leur laissant un peu plus travailler la question, ils tomberont finalement sur 70 langues. Dieu a créé les 70 langues de base de la communication humaine à ce moment-là.
Les commentaires patristiques se focalisent évidemment beaucoup sur l’utilisation du pluriel « descendons », « confondons » pour appuyer la croyance en la Trinité. Mais nous avons néanmoins des commentaires sur cette action divine. Saint Grégoire de Rome enseigne dans son commentaire moral sur Job : « cela est déjà fatal si les justes ne sont pas unis, mais cela l’est encore davantage si les impies sont unis ». Grégoire nous renvoie ici à la notion de Dieu maître de l’histoire et nous donne un enseignement plein d’espoir. Dieu ne laissera jamais aller quelque chose de complètement totalitaire mauvais et impie aller jusqu’à son terme. A un moment, il interviendra pour empêcher que la folie humaine n’engloutisse toute l’humanité. Saint Jean Chrysostome dans son homélie, replace bien l’épisode Babel dans l’histoire de la rébellion humaine contre Dieu : « Voyez encore dans ces paroles la condescendance de Dieu pour notre nature. Venez et descendons. Que veulent dire ces mots ? Dieu a-t-il besoin d’un aide pour corriger ou d’un secours pour punir ? Non certes ! Mais, de même que l’Ecriture a déjà dit : Le Seigneur est descendu, nous indiquant par là qu’il avait examiné à fond l’excès de leur perversité, elle nous dit maintenant : Venez et descendons, paroles tout à fait dites comme à des égaux : Venez, dit-il, et descendons pour confondre leur langage, afin que personne ne comprenne son voisin. Je leur inflige, dit-il, une punition, qui, monument éternel de leur folie, durera perpétuellement, pour qu’aucun siècle ne puisse l’oublier. Car, puisqu’ils ont abusé de l’unité de langage, ils seront punis par la diversité des langages. C’est ainsi qu’agit constamment le Seigneur. Il l’a fait dès l’origine à l’égard de la femme, elle abusait des dons qu’elle avait reçus; il la soumit à son mari. Il en fut de même pour Adam; comme il n’avait pas profité de son bonheur parfait et du séjour du paradis, mais qu’il avait mérité d’être puni. Pour sa désobéissance, Dieu le chassa du paradis, et lui infligea une punition perpétuelle, en lui disant : La terre te produira des épines et des chardons. (Gen. III, 18.) De même ces hommes qui jouissaient de l’unité de langage ayant fait un mauvais usage de ce don qu’ils avaient reçu, Dieu punit leur méchanceté par la diversité des idiomes. Confondons, dit-il, leur langage, afin que personne ne comprenne son voisin, afin que ces hommes, réunis tant que leur langage était le même, soient séparés quand il sera différent. Car ceux qui n’ont pas le même idiome et le même dialecte, comment pourraient-ils vivre ensemble? Le Seigneur-Dieu les dispersa de cet endroit sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour.
Vous voyez que Dieu, dans sa bonté, se borna, à les rendre incapables de persévérer; ils ressemblaient alors à des insensés. L’un demandait une chose à son voisin, qui lui en donnait une autre, et tous leurs efforts n’aboutissaient à rien. Aussi, ils cessèrent de bâtir la ville et la tour; c’est pourquoi on l’appela confusion, parce que c’était là que Dieu avait confondu les langues de la terre. De là le Seigneur Dieu les dispersa sur toute la terre. Voyez comme tout a été fait pour que le souvenir en soit éternel. D’abord, la division des langues avait été pronostiquée à l’avance par un nom, celui de Phalec, qu’Héber avait donné à son fils, et qui signifie séparation. Ensuite l’emplacement même fut appelé confusion, ce qui correspond à Babylone. Enfin Héber lui-même conserva l’ancien langage pour que ce fût encore une preuve évidente de la division. Vous voyez de combien de manières Dieu a pourvu à ce que le souvenir s’en conservât et que jamais un pareil événement ne pût s’oublier. Du reste, le père était ensuite obligé de dire à son fils la cause de cette diversité, et le fils demandait au père d’où venait le nom de cet endroit. Car on l’avait appelé Babylone, c’est-à-dire confusion, parce que c’était là que le Seigneur Dieu avait confondu les langues de toute la terre, et c’était à partir de là qu’il avait dispersé les habitants; en effet, le nom de cet emplacement me paraît s’appliquer aux deux choses, à la confusion des langues et à la dispersion des hommes. ». Chrysostome touche d’ailleurs ici du doigt quelque chose qu’il nous faut expliquer. Le verbe utilisé pour « confondre » en hébreu est « Balal » (בָּלַל) dont la proximité sonore avec Babel est évidente. C’est devenu le lieu de la confusion, par définition, par essence. Il est intéressant de noter, que « Babillum » en akkadien signifie « la porte des dieux ». Et en hébreu on a donc cette idée de confusion. Pour eux, c’est une sorte de porte pour rencontrer les dieux. Pour Dieu, c’est la confusion. Notons néanmoins que Dieu n’a rien contre les villes qui réunissent tout le monde : la fin de tout sera dans la Jérusalem céleste. Difficile de dire comment ce sera, mais cela nous est présenté comme une unique ville. Donc, la ville unique n’est pas mauvaise en soi. C’est l’idée qui l’anime qui pose problème.
Une chose à laquelle on ne pense pas forcément. A un moment, tous se comprenaient. Puis à l’instant d’après, peut-être avec l’espace d’une nuit, mais rien ne nous le dit, ils ne se comprenaient plus. L’un demandait une brique sans que l’autre comprenne ce qu’il demandait. Le sentiment dans la ville a dû être absolument indescriptible. Mais l’on doit comprendre que c’est la seule action divine sur les habitants de Babel. Ils n’ont pas été transporté en un instant à l’autre bout du monde. Le texte nous explique que ne pouvant plus se comprendre, chacun a choisi de partir tel que décrit dans le chapitre 10. On peut donc conjecturer que Dieu a confondu les langages mais en gardant des langues pour les différents peuples, avec une langue par peuple. Les gens se sont donc regroupés par peuple et sont partis, accomplissant finalement la volonté divine.
Le verset 9 exprime que le nom Babel est donné parce que Dieu avait confondu (balal) toutes les langues. En grec, le texte nous dit que la ville s’appelait confusion, sugkusis (σύγχυσις). Elle ne reprend pas le nom de Babel. Donc le grec véhicule l’essence des choses, et fait de l’histoire en théologien, plutôt que de faire de l’histoire en philologue.
Babylone
Voyons maintenant les données historiques que nous avons sur la ville de Babylone. Nous avons un témoignage d’Hérodote à son époque, soit le cinquième siècle avant le Christ. Il décrit un grand carré de 70 kms de périmètre. La muraille de 55 mètres de haut et de 23 mètres d’épaisseur montre le gigantisme à celui qui vient la visiter. Cela n’empêche pas qu’elle sera conquise plusieurs fois. Tombée en ruines et oubliée, ce n’est qu’en 1899 qu’un archéologue allemand en découvre les vestiges, dont le fameux temple d’Ishtar. Le souverain le plus connu de par la Bible est assurément Nabuchodonosor, celui qui détruira le Temple de Jérusalem bâti par Salomon, destruction qui a lieu en 587 av JC.
Une dernière façon de voir les choses, sur cet épisode très riche en terme de compréhension. Si vraiment le prisme de lecture c’est Nimrod, préfiguration de l’Antéchrist, alors pourquoi les babyloniens pensent se bâtir un nom pour eux même ? Nimrod, si on comprend bien qui il est, travaille pour les anges rebelles, les démons, les faux dieux. Et ceci ne cadre pas avec le fait de se faire un nom pour soi. Et puis, si l’ordre de Dieu était en fait une bénédiction ? Ne pourrait-on pas le comprendre simplement de la sorte ? Vous allez tellement vous multiplier que vous remplirez la terre entière !! Souvent, les athées, ou les idiots surdiplômés aiment à rappeler à quel point la Bible est une redite sans imagination des textes sumériens et akkadiens précédents. Et il se peut que cette fois, ce soit une des clés de lecture les plus intéressantes. On est souvent tenté de lire le passage avec les lunettes théologiques chrétiennes, et on perçoit la folie babylonienne de façon assez évidente. Mais il faut ajouter à cela le système de croyances de cette époque et de cette partie du monde. Que croyaient les gens qui étaient impliqués dans les religions de cette époque ? D’après les textes que nous avons, ils pensaient que les bâtiments grands et massifs assuraient la présence des dieux sur terre. Ces ziggourats étaient des portes non pas pour aller vers les dieux, mais pour permettre aux dieux de descendre sur terre facilement, et pouvoir traiter avec eux. Les spécialistes des religions sumériennes et akkadiennes nous montrent au final comment leurs dieux étaient limités, comment ils avaient besoin des hommes pour accomplir certaines tâches qui leurs étaient nécessaires. Les dieux avaient créé les hommes pour les servir. Il y avait donc un rapport de nécessité réciproque. Les hommes pensaient que servir les dieux permettaient de s’assurer de leur bienveillance pour les choses les plus fondamentales : pluie, fertilité, stabilité, victoire militaire, etc. On peut retrouver ces concepts et croyances dans le livre « enuma elish », le récit babylonien de la création. On comprend mieux ainsi ce but de se faire « un nom ». Il s’agit d’être les humains les mieux vus des dieux pour attirer leur aide et leur bénédiction. Mardouk, le grand dieu babylonien se voit ainsi bâtir le temple nommé Esagil et d’autres ziggourats, avec cette technologie particulière de pierre et de bitume. On a vu que le propos mosaïque était ironique. Mais il y a beaucoup plus que cette ironie cinglante : il y a une histoire qui ici ne se résout pas uniquement dans ce récit. L’humanité entière était derrière Nimrod, lui-même au service d’un opposant à Dieu, disons le diable pour rester dans une probabilité assez importante. Le diable avait insufflé dans la religion de Babel des éléments dégradants pour Dieu : limité, ayant des besoins, ayant besoin des hommes. La conception polythéiste n’est pas un affront uniquement à l’unicité divine. C’est un affront à la toute-puissance divine. En empêchant la tour de se construire, Dieu indique également : « je n’ai besoin de rien ». En confondant les langues, Dieu réalise un coup de maître, non violent qui plus est. Et donc on se retrouve avec une humanité partiellement sous la coupe du démon, mais partiellement potentiellement libérée. Les livres sacrés démoniaques, les prières démoniaques, les rituels démoniaques sont maintenant inutilisables. La question est ensuite : comment Dieu va-t-il gérer cette dispersion, cette confusion qu’il a introduit dans l’humanité ? La réponse est dans le livre du Deutéronome. Malheureusement, un scribe pharisien a altéré le verset qui explique l’histoire à la sortie de Babel. En effet, depuis l’hébreu on a « Quand le Très Haut donna un héritage aux nations, quand il sépara les enfants des hommes, Il fixa les limites des peuples d’après le nombre des enfants d’Israël, car la portion de l’Éternel, c’est son peuple, Jacob est la part de son héritage. » (Dt 32:8-9). Regardez la version issue de la LXX, qu’on retrouve également dans le manuscrit de Qumran 4Q37 : « Quand le Très-Haut a donné aux nations leur héritage, quand il a séparé les enfants des hommes, il a fixé les limites des peuples selon le nombre des enfants de Dieu. Car la part de YHWH est son peuple. Jacob est le lot de son héritage. ». Là, cela devient tout de suite plus compréhensible. Il a confié à chaque nation un ange pour la guider, mais ces anges se sont égalés révélés rebelles, et on voit leur jugement pour cette rébellion dans le psaume 81/82. Dieu n’avait gardé pour lui que la future nation des hébreux, qui devrait sortir d’Abraham, qui n’était pas guidée par un ange mais bien directement par Dieu. C’est pourquoi, tout naturellement, la suite du chapitre nous emmène maintenant vers Abraham.
Sem et l'âge du monde
Il y a presque une plaisanterie ici, cachée dans l’hébreu et dans la narration de Babel. Sem, qui se prononce Shem en hébreu signifie « nom ». Babel voulait se construire un nom mais Dieu avait déjà le nom qui comptait vraiment. Le seul nom, le seul Shem qui rentre dans l’histoire, au final, c’est Shem.
Pour faire écho au chapitre 5 de la Genèse, nous avons ici toute une généalogie qui permet de calculer des dates et de fixer des chronologies. Entre les versions massorétiques et celle de la LXX il y a des différences. Soit les rabbins de la massorah ont raccourci la durée, soit les sages de la LXX ont allongé la durée. La question ici permet de fixer si le monde a un peu moins de 6000 ans ou s’il a un peu plus de 7500 ans. Je ne vais pas redonner ici les éléments que j’ai donnés au chapitre 5, et je vous invite à consulter ce cours précis si le sujet vous intéresse. Sachez simplement ici que nous restons avec la chronologie qui est donnée par la LXX.
Vous verrez au verset 13 qu’Arphaxad engendre un certain Cainan, ce qui n’a pas lieu en hébreu. Bède explique ceci dans son commentaire des actes des apôtres : « St. Luc utilise plutôt les témoignages grecs que l’hébreu: ce dont il arrive que je m’émerveille beaucoup, et pour la stupidité d’esprit, étant frappé d’une grande admiration, je ne peux pas parcourir à fond, voyant dans l’hébreu original se trouvent seulement dix générations du déluge à Abraham , par quel moyen saint Luc, qui (le Saint-Esprit gouvernant sa plume) ne pouvait en aucun cas écrire faux, préférerait inscrire onze générations dans l’Évangile, Canaan joint selon la Septante. ». On voit cette erreur qui est assez classique en occident : considérer que le texte hébreu des rabbins est l’hébreu original. Quel dommage que nous n’ayons pas un manuscrit de la mer morte sur ce chapitre 11 de la Genèse !
Dernière chose avant de lire la généalogie, la longévité interroge, puisque Dieu avait dit que personne ne dépasserait 120 ans. Et on va voir des longévités bien plus longues. Augustin répond de la sorte à cette apparente contradiction : « En relation avec ce que dit l’Écriture : Et Arphaxad vécut cent trente-cinq ans, et engendra Canaan. Arphaxad vécut après qu’il eut engendré Canaan, quatre cents ans, ou, comme le dit le grec : trois cents ans, la question se pose de savoir comment Dieu dit à Noé : Et leurs années de vie cent vingt ans (Gen 6:3), car Arphaxad n’était pas encore né lorsque Dieu dit cela, et il n’était pas non plus dans l’arche avec ses pères. Comment donc comprendre ces cent vingt ans de vie humaine, puisqu’il y a un homme qui en a vécu plus de quatre cents ? Le passage doit être interprété comme signifiant que vingt ans avant le début de la construction de l’arche, un bâtiment qui a duré cent ans, Dieu a dit cela à Noé, lui annonçant déjà qu’il enverrait le déluge et qu’il n’a pas prédit le temps de la vie humaine des hommes qui devaient naître après le déluge, mais le temps de la vie humaine des hommes qu’il anéantirait avec le déluge. » (question sur la Gn 23)

Généalogie d’Abraham
12 Arphaxad vécut cent trente-cinq ans, et il engendra Salé.
13 Après qu'il eut engendré Cainan, Arphaxad vécut quatre cent ans, et il engendra des fils et des filles et mourut. Et Cainan vécut cent trente cinq ans et engendra Salé. Après qu’il eut engendré Salé, Cainan vécut trois cent trente ans.
14 Salé vécut cent trente ans, et il engendra Héber.
15 Après qu'il eut engendré Héber, Salé vécut trois cent trois ans, et il engendra des fils et des filles et mourut.
16 Héber vécut cent trente-quatre ans, et il engendra Phaleg.
17 Après qu'il eut engendré Phaleg, Héber vécut deux cents soixante-dix ans, et il engendra des fils et des filles, et mourut.
18 Phaleg vécut cent trente ans, et il engendra Réü.
19 Après qu'il eut engendré Réü, Phaleg vécut deux cent neuf ans, et il engendra des fils et des filles, et mourut.
20 Réü vécut cent trente-deux ans, et il engendra Sarug. Après qu'il eut engendré Sarug,
21 Réü vécut deux cent sept ans, et il engendra des fils et des filles, et mourut.
22 Sarug vécut cent trente ans, et il engendra Nachor.
23 Après qu'il eut engendré Nachor, Sarug vécut deux cents ans, et il engendra des fils et des filles, et mourut.
24 Nachor vécut cent soixante dix-neuf ans, et il engendra Térah.
25 Après qu'il eut engendré Térah, Nachor vécut cent vingt-cinq ans, et il engendra des fils et des filles, et mourut.
26 Térah vécut soixante-dix ans, et il engendra Abram, Nachor et Aran.
27 Voici l'histoire de Térah. Térah engendra Abram, Nachor et Aran.
Ici on retrouve un motif, un pattern, comme disent les anglo-saxons. Adam avait enfanté trois fils. Noé avait enfanté trois fils. Térah enfante trois fils. Chez Adam, c’était par Seth que le plan divin devait agir. Chez Noé c’était par Sem. Ici, c’est Abram. Il s’agit du patriarche dont Matthieu nous dit que Jésus est la descendance et en fait le premier parent de sa généalogie. Nous verrons plus tard comment et pourquoi Abram devient Abraham. Pour l’instant, pendant les cinq chapitres suivant, ce sera Abram.
Dans le livre des Nombres, Térah est aussi un lieu, et on peut facilement imaginer que le lieu est lié d’une quelconque façon au père d’Abraham : « Ils partirent de Tahath, et campèrent à Térah. Ils partirent de Térah, et campèrent à Mithka. » (Nb 33:27-28)
Penchons-nous sur le nom « Abram ». On le décompose généralement en « ab » et « ram ». « ab » signifie « père ». « ram » a davantage de significations mais qui tournent généralement autour d’exaltation. Donc on peut le lire « exaltation du père », « le père est exalté » ou quelque chose du genre. Le nom est proche de « abiram » qui signifie « mon père ».
Nachor est visiblement nommé ainsi en hommage à son grand-père.
Abraham champion de l’Eternel face à Nimrod
Lot est un personnage important. Il est mentionné ici pour que nous voyions la relation entre Abram et Lot. Abram est l’oncle de Lot. On retrouvera Lot dans plusieurs épisodes bibliques, dont la célèbre destruction de la ville de Sodome.
Le latin issu de l’hébreu pose qu’Aran mourut avant Térah et en présence de Térah. Alcuin d’York pose donc la question de ce que cela signifie, et c’est sa question 152. Il répond la chose suivante : « ‘Ur’ signifie ‘feu’, et les Chaldéens vénèrent le feu comme un dieu. Térah, selon les Hébreux, fut jeté au feu avec ses fils par les Chaldéens parce qu’il refusait d’adorer le feu, et Aran fut tué dans ce feu. C’est ce que l’on veut dire maintenant : « Il mourut devant Térah son père », comme le rapporte Jérôme dans son livre des Questions hébraïques (Patr. tom. XXIII, col. 957), en disant : « La tradition des Hébreux est vraie qui dit que Térah et ses fils sortirent du feu des Chaldéens et qu’Abraham, entouré du feu babylonien, parce qu’il refusa de l’adorer, fut sauvé par l’aide de Dieu. Et les jours de sa vie et le temps de sa vieillesse sont comptés depuis le moment où il a confessé Dieu, rejetant les idoles des Chaldéens. Ainsi un problème très obscur concernant Abraham est résolu. Car nous lisons que Térah engendra Abraham quand il avait soixante-dix (variante : 75) ans et vécut cent trente-cinq ans après avoir engendré Abraham, et que tous les jours de Térah furent de deux cent cinq ans. Nous lisons aussi dans la Genèse : « Abraham avait soixante-quinze ans lorsqu’il sortit de Haran » (Gen. 12:4), c’est-à-dire après la mort de son père Térah. Donc, depuis l’année de la naissance d’Abraham jusqu’à l’année où il sortit de Charan, il y a cent trente-cinq ans, mais on ne compte pas les années qui s’écoulèrent avant qu’il ne sorte du feu des Chaldéens, sauvé par la protection de Dieu. C’est ce que dit Jérôme. »
Je vous propose de reproduire ici ce texte de la tradition orale d’Israël, que j’avais déjà produit en partie pour évoquer le cas de Nimrod : « “Et Haran mourut en présence de son père Terach.” Rabbi Hiyya a dit : Terach était un fabricant d’idoles. Une fois, il est parti quelque part et a laissé Abraham les vendre à sa place. Un homme est entré et a souhaité en acheter un. “Quel âge as-tu ?” Abraham a demandé à l’homme. “Cinquante ans”, a-t-il dit. “Malheur à un tel homme, qui a cinquante ans et adorerait un objet vieux d’un jour !” dit Avraham. À une autre occasion, une femme entra avec une assiette de farine et lui demanda : « Prends ceci et offre-le-leur. Alors il prit un bâton et les cassa, et mit le bâton dans la main du plus grand. Lorsque son père est revenu, il a demandé: “Qu’est-ce que vous leur avez fait?” “Je ne peux pas vous le cacher. Une femme est venue avec une assiette de bon repas et m’a demandé de la leur offrir. L’une a dit : “Je dois manger d’abord”, tandis qu’une autre a déclaré : “Je dois manger d’abord”. Là-dessus, le plus grand se leva, prit le bâton et les brisa.” « Pourquoi vous moquez-vous de moi ? Sont-ils au courant ? dit Terach. « Vos oreilles ne devraient-elles pas entendre ce que votre bouche a dit ? dit Avraham. Sur quoi Terach le saisit et le livra à Nimrod. “Adorons le feu”, a déclaré Nimrod. “Adorons plutôt l’eau qui éteint le feu”, a déclaré Avraham. « Adorons l’eau », dit Nimrod. “Adorons plutôt les nuages qui portent l’eau”, a déclaré Avraham. « Alors adorons les nuages », dit Nimrod. “Adorons le vent qui disperse les nuages”, a déclaré Avraham. « Adorons le vent », dit Nimrod. “Adorons les êtres humains qui peuvent résister au vent”, a déclaré Avraham. “Vous ne faites que proférer des paroles, et nous n’adorerons que le feu. Voici, je vais vous y jeter, et que votre Dieu que vous adorez vienne vous en sauver!” dit Nimrod. Haran se tenait là, indécis. “Si Avraham est victorieux, je dirai que je suis de la croyance d’Avraham, tandis que si Nimrod est victorieux, je dirai que je suis du côté de Nimrod”, pensa-t-il. Quand Avraham est descendu dans la fournaise ardente et a été sauvé, Nimrod lui a demandé: “De quelle croyance êtes-vous?” « D’Abraham », répondit-il. Alors il le saisit et le jeta au feu ; ses entrailles ont été brûlées et il est mort en présence de son père. C’est pourquoi il est écrit: “Et Haran mourut en présence de son père Terach.” » (Bereshit Rabbah 38:13)
Sarah relativement à Abraham
30 Or Saraï fut stérile: elle n'avait point d'enfants.
De la même façon qu’Abraham s’est appelé Abram avant que Dieu ne change son nom, Sarah s’appelait Saraï avant que son nom ne soit changé. « Sar » signifie prince ou de façon plus large quelqu’un qui détient un pouvoir. Donc avec la conjugaison hébraïque on pourrait traduire Sarah par « ma princesse ». D’après la tradition syriaque qui remonte à saint Ephrem, Sarah a pour père Térah et pour mère Yona, tandis qu’Abram a pour Térah et pour mère Yalmut. De cette façon, le moment où Abram dira de Saraï « elle est ma sœur » n’est pas un mensonge, mais bien l’énonciation de la vérité, comme nous le verrons au chapitre 20. Ils ont tous deux pour père Térah, mais ont chacun une mère différente. La tradition rabbinique de son côté voie Sarah comme la nièce d’Abraham.
Le verset est un petit peu énigmatique, car on voit débarquer de nulle part cette Jesca. Son nom est un hapax : on ne le retrouve plus jamais dans la Bible. Les rabbins pensent que c’est l’autre nom de Sarah. Si elle est mentionnée, c’est qu’elle nous apporte quelque enseignement. Il s’agit peut-être de la femme de Lot, la fameuse anonyme transformée en statue de sel, qui sait ?
Dans certaines traductions il n’y a pas de différenciations entre Aran, le personnage, le frère d’Abram et Nachor, et Haran le lieu où la famille de Térah s’établit après son départ de la ville d’Ur. J’ai pris une traduction qui différencie lieu et personne, de façon à suivre hébreu et grec, qui les différencient. L’hébreu a Haran (הָרָן֙) et Raran (חָרָ֖ן). Le personnage voit son nom commencer par la lettre Hé et le lieu par la lettre Chet. Le grec des LXX garde cette distinction : Aran (᾿Αρρὰν) pour le personnage et Karan (Χαρρὰν) pour le lieu.
Rétrospective et conclusion
Ainsi se termine le onzième chapitre de la Genèse, et cette fin amène un bilan temporaire. En effet à partir du prochain chapitre, nous allons accompagner et découvrir Abraham, et l’histoire de sa famille. Ceci sera le contenu du reste de ce livre, jusqu’au chapitre 50, sur 4 générations. Depuis 11 chapitres qu’avons-nous : Dieu, qui créé un monde d’ordre, de beauté, d’harmonie et l’homme, créé pour s’occuper de ce monde, qui ne cesse de se rebeller, imitant en cela d’autres créatures, certains anges, eux-mêmes en rébellion contre Dieu. A chaque chance que Dieu donne à l’homme de bien faire les choses, l’homme détruit tout. Nous avons rendu mauvais un monde qui avait été créé bon. Mais la promesse demeure : viendra un sauveur qui sera blessé, et qui détruira la racine du mal. La bénédiction divine reste en place.
Je vous donne donc rendez-vous pour le chapitre 12, si Dieu veut. Bienvenue dans les catacombes.