L’Orthodoxie

l’Eglise

En tant que Corps du Christ, vivant de la vie du Christ, l’Eglise est par là même le lieu de l’action et de la présence de l’Esprit Saint. Bien plus : l’Eglise est la vie par l’Esprit Saint du fait qu’elle est le Corps du Christ, car au sein de la Sainte Trinité, le Fils n’a pas une vie propre : il l’épuise par sacrifice en étant engendré du Père ; il la reçoit du Père et elle est l’Esprit Saint qui « donne la vie » et qui repose sur lui dès avant les siècles.

L’Esprit Saint est la vie du Fils, qui lui est donnée par le Père ; et le Christ n’a pas d’autre vie qui lui soit propre. Tel est le caractère de la dyade du Fils et du Saint Esprit qui révèle le Père : elle s’exprime par l’identité de leurs vies, leurs hypostases étant distinctes. C’est précisément cette identité de vie qui se manifeste dans l’Eglise comme Corps du Christ, ayant en elle la vie du Christ. L’Eglise est la vie en Christ et, donc, par l’Esprit Saint ; ou, inversement, elle est la vie en Christ et, donc, par l’Esprit Saint ; ou, inversement, elle est la vie de grâce en l’Esprit et, par conséquent, dans le Christ : « si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas » (Rm VIII :9). En vertu de quoi, on peut considérer effectivement l’Eglise comme la vie de grâce en l’Esprit Saint ; ou, encore, comme on dit parfois, elle est le Saint Esprit qui vit dans l’humanité.

A cette réalité essentielle correspond une manifestation historique. L’Eglise est l’œuvre de la divine incarnation du Christ, elle est cette incarnation même, comme l’assimilation par Dieu de la nature humaine et l’assimilation de la vie divine par cette nature, comme la déification (theosis) de celle-ci, en conséquence de l’union de deux natures dans le Christ.


Commentaire/Analyse

Première chose intéressante du point de vue du commentaire : « il l’épuise par sacrifice ». On remarquera que le Père Serge a fait en sorte que ces mots soient en italique. Il voulait donc en exprimer l’importance. Dans les commentaires précédents nous avions vus que le Fils reçoit sa vie du Père. Ici, nous avons une précision sur cette « réception ». Il ne s’agit pas de quelque chose qui échappe au Fils, une sorte de donné extérieur contre lequel il ne pourrait rien faire. Il faut bien comprendre qu’en Dieu, il n’y a pas de fatalité extérieure auquel le divin devrait se soumettre. Sinon Dieu ne serait pas Dieu. On comprend alors aisément que cette absence de vie propre du Fils est voulue. Elle n’est pas subie. La volonté de Dieu n’est pas quelque chose qui doit être négligé. Cette notion de volonté est tellement importante qu’elle est la clé de la divinisation dont je parlerai ensuite. Le Fils n’a pas de vie, car il a choisi de ne pas en avoir. Il a choisi de tout recevoir. Il se place librement comme celui qui reçoit tout. Ce qui est intéressant ici, c’est qu’au sein de la divinité, vous avez en même temps les notions de puissance, de gloire, que nous pourrons qualifier de jupitériennes, et les notions kénotiques (voir post précédent), d’abandon de soi, de totale soumission et obéissance. Les deux ensembles de notions sont divins. C’est ce qui souvent échappe aux autres monothéistes qui ne peuvent pas conceptualiser la faiblesse divine. Au sein de la Sainte Trinité, c’est la relation entre le Père et le Fils qui me semble être la plus intéressante à penser pour rentrer dans la pensée antinomique, indispensable pour comprendre les Pères de l’Eglise.

Le Père Serge, dans le paragraphe suivant, puisque son chapitre a pour sujet l’Eglise, nous invite à considérer la dyade Fils – Esprit. Une dyade est comme une monade mais avec deux constituants. Comme je l’expliquais dans le post sur le filioque, c’est la dyade qui est un peu laissée de côté par affirmation antiromaine par certains théologiens orthodoxes. Le Père Serge nous invite à passer outre et à penser cette dyade. Il n’est pas le premier dans l’histoire de l’Eglise. Saint Irénée de Lyon nous explique dans son traité contre les hérésies : “Au contraire, Dieu sera glorifié dans l’ouvrage par lui modelé, lorsqu’il l’aura rendu conforme et semblable à son Fils. Car, par les Mains du Père, c’est-à-dire par le Fils et l’Esprit, c’est l’homme, et non une partie de l’homme, qui devient à l’image et à la ressemblance de Dieu” (traités contre le hérésies V 1 3). Parfois le chrétien, subjugué par le Christ, en vient à oublier l’Esprit, et de ce fait perd toute la dynamique, pourtant engendrée par le Christ Lui-même : son ministère comme permettant et ouvrant la Pentecôte. L’Eglise, bien que Corps du Christ, est le lieu de l’acquisition de l’Esprit Saint dans le monde. La dyade Fils – Esprit doit être pensée pour saisir le mystère de l’Eglise.

Le Père Serge en vient ensuite à la notion de theosis, que j’ai déjà présenté. Si l’on demande à un chrétien, quel est le but de la vie chrétienne ?, il devrait répondre ce que dit Pierre dans sa deuxième épitre catholique : “ lesquelles nous assurent de sa part les plus grandes et les plus précieuses promesses, afin que par elles vous deveniez participants de la nature divine, en fuyant la corruption qui existe dans le monde par la convoitise,” (2 Pi 1:4) le but est de participer à la nature divine. L’enseignement théologique est ici vertigineux. Dieu est participable. C’est-à-dire qu’il veut faire partager, il veut offrir la vie divine. Regardez l’icône la plus célèbre qui soit : le Trinité de Roublev. Vous voyez comme la place laissée est large, et comment cette table se veut accueillante. Dieu n’est pas une monade recluse sur elle-même. Il est communion, en Lui et pour son monde. Et l’homme peut accéder à cette vie divine. Il en a les moyens. Ce n’est pas chose aisée, mais ce n’est pas du domaine de l’impossibilité. Ce double ministère du Christ et de L’esprit, l’action de cette dyade de la Trinité dans le monde n’a pas d’autre objet que la theosis de la création. C’est pourquoi le Père Serge parle tout naturellement de theosis. Ce mot recouvre à la fois chez les Pères le processus et le but. Il est utilisé pour le chemin et la destination. Car la destination est le chemin, et inversement. Il ne faudrait pas avoir du processus une vision statique avec un cheminement et un aboutissement, qui serait vu avec la mort. Le processus de theosis se joue déjà pendant la vie. La gestation du bébé est déjà la vie du bébé. Notre vie en Dieu est déjà expérimentable ici et maintenant. Immédiatement.

Dans ce dernier paragraphe de ce segment que j’ai arbitrairement choisi, le Père Serge réalise quelque chose qui est fondamental pour acquérir les réflexes de pensée patristique. « l’assimilation par Dieu de la nature humaine et l’assimilation de la vie divine par cette nature » insiste sur la nature christologique des choses. Comme je l’ai déjà expliqué auparavant, la christologie est ce que nous pouvons dire sur le Christ, une des choses les plus importantes étant Sa double nature : humaine et divine. Il n’est pas 50% homme et 50% Dieu. Il est les deux à la fois, de façon complète. C’est là où les autres monothéismes s’épuisent intellectuellement en considérant que cette union des natures est un mélange, une confusion qui ferait de nous autres chrétiens des idolâtres. Un idolâtre, me semble-t-il, n’a pas la précaution conceptuelle de penser que son idole est restée aussi ce qu’elle était avant, tout en étant Dieu. Ce que nous constatons en Christ, et ce que cela nous permet de penser, nous devons nous en servir pour penser l’Eglise. Il y a rencontre entre les natures divines et humaines. Nous ne devenons pas Dieu en termes de substance par la theosis. Nous devenons participants d’une vie divine qui ne demande rien d’autre que de nous accueillir. Ce mode de raisonnement en quasi nominal : je pense le monde à partir du Christ. La double nature du Messie me donne une approche nouvelle pour considérer le monde. La pensée chrétienne orthodoxe a une spécificité que les autres ne pourront jamais atteindre.