Les conciles de Rimini et Séleucie

L’exil de Libère


Souvent, on croit que les persécutions contre les chrétiens cessèrent avec l’arrivée au pouvoir de l’empereur Constantin. La phase qui suivit les faux conciles d’Arles et de Milan prouve le contraire. Examinons d’abord la situation en Egypte ; l’empereur ordonna aux fonctionnaires publics de rompre avec Athanase et de passer aux ariens. Les villes et villages fidèles à l’orthodoxie nicéenne furent plongés dans le trouble et parfois la terreur. Tous les évêques nicéens d’Egypte furent convoqués à la cour de l’empereur, et on les empêcha de repartir, à moins qu’ils promettent de ne plus communier avec Athanase. Certains choisirent le déshonneur. Les vrais évêques choisirent l’exil. Leur place était vendue aux enchères au plus offrant, fut il catéchumène, ou même païen. L’empereur comprit qu’il devait attaquer le trio Athanase – Libère – Osius. Il envoya à Rome son principal conseiller, l’eunuque Eusèbe, un arien convaincu. Il arriva, plein de cadeaux à Rome et le Pape Libère réagit comme il le devait cette fois, malgré les menaces qui remplacèrent rapidement les cadeaux : Libère demandait un nouveau concile, qui ne soit pas sous la tutelle de l’empereur, dont l’ordre du jour serait de confirmer la foi nicéenne et de condamner tous les ariens. Libère renvoya même les cadeaux à l’empereur. Celui-ci fit traquer tous les partisans de Libère à Rome, puis le convoqua, mais devant sa fermeté l’exila en isolement à Bérée, ville de Grèce aujourd’hui appelée Veria. Il offrit l’épiscopat de Rome au Diacre Felix qui se retrouva seul, personne ne voulant communiquer avec lui. Il se retrouva Pape d’une ville lui tournant le dos. Libère, menacé quotidiennement, à l’isolement complet tint deux ans avant de finalement condamner Athanase. L’évêque d’Alexandrie reconnait dans ses écrits les circonstances de cette condamnation et ne tient évidemment pas rigueur à l’évêque de Rome de cette faiblesse.

La lettre d’Osius à l’empereur


Il ne restait plus qu’Osius. Les ariens savaient que faire plier Libère sans avoir triomphé d’Osius ne servait à rien. Sozomène rapporte ainsi la stature d’Osius dans la vision arienne : « il est le président ordinaire des conciles, et tous obéissent à ses lettres ; c’est lui qui a rédigé le symbole de Nicée ; et partout il enseigne que les partisans d’Arius sont des hérétiques. S’il reste sur son siège , l’exil des autres ne servira à rien. ». Malgré son grand âge, Osius fut convoqué par l’empereur mais ne plia pas. L’empereur alterna les lettres de louanges et de menaces. Athanase a laissé dans ses écrits la lettre d’Osius à l’empereur. En lisant cette lettre, vous verrez ce qu’est un évêque, chose qui manque cruellement aujourd’hui au monde orthodoxe, contaminé par les hommes d’appareils, les fonctionnaires en soutane, ceux qui fréquentent le pouvoir séculier dont ils tirent une légitimité qui n’a aucune valeur au ciel. Voici la lettre : « Osius, à l’empereur Constantius, salut dans le Seigneur :

« Jadis, j’ai confessé la foi lorsque, sous ton aïeul Maximianus, l’Eglise était persécutée. Si tu veux toi-même me persécuter aujourd’hui, sache que je suis prêt à tout souffrir, plutôt que de répandre le sang innocent et de trahir la vérité. Je ne t’approuve point de m’écrire et de me menacer comme tu l’as fait. Cesse donc de m’écrire de telles lettres; ne pense pas comme Arius, n’écoute pas les orientaux, et ne te fie pas à Ursace et à Valens. C’est moins à Athanase qu’ils en veulent qu’à la foi qu’ils essayent de souiller de leur hérésie. Crois-moi, Constantius, moi qui, par mon âge, pourrais être ton aïeul : J’ai assisté au concile de Sardique, à l’époque ou toi et ton frère Constans, d’heureuse mémoire, vous nous avez convoqués. Moi-même j’ai provoqué les ennemis d’Athanase, lorsqu’ils vinrent à l’Eglise près de laquelle je demeurais; je les ai sommés de dire ce qu’ils avaient à reprocher à Athanase. Je leur ai promis sécurité; je me suis engagé par serment à ne poursuivre qu’un jugement absolument juste. Je n’ai pas pris cet engagement une fois, mais deux fois; je leur ai offert d’écouter en particulier leurs accusations, s’ils ne voulaient pas les développer devant le concile. Je leur ai fait cette promesse : « Si Athanase est trouvé coupable, nous le repousserons sans hésitation; s’il est innocent, s’il prouve que vous êtes calomniateurs, et que cependant vous refusiez de le recevoir, je lui persuaderai de venir avec moi en Espagne. Quand toi-même tu as rappelé Athanase, il a provoqué ses ennemis à venir devant toi soutenir leurs accusations. Ils ne l’ont pas osé. Parmi eux étaient Ursace et Valens qui, depuis, se repentirent publiquement de leurs calomnies. Ils disent qu’ils ont été forcés de faire cette démarche. Qui les y a forcés? Ils sont allés de leur plein gré à Rome et se sont rétractés devant l’évêque et les prêtres de cette Eglise, sans qu’aucun soldat ait été mêlé à cette affaire. Mais s’ils se plaignent de la violence qui leur a été faite, pourquoi as-tu recours à ce moyen pour arriver à ton but ? Jamais ton frère Constans n’a commis de violence. Quel évêque a-t-il envoyé en exil ? Quand s’est-il mêlé des jugements ecclésiastiques? Cesse donc d’agir comme tu le fais! Souviens-toi que tu es un homme mortel; redoute le jour du jugement, et tiens-toi prêt à y comparaître. Ne te mêle pas des affaires ecclésiastiques; ne nous adresse pas d’ordres à ce sujet; apprends plutôt de nous ce que tu as à faire. Dieu t’a donné l’empire; à nous il a confié les affaires de l’Eglise. Celui qui résiste à ton empire contredit les ordres de Dieu; et toi, en t’occupant des affaires de l’Eglise, crains de te rendre coupable d’un grand crime. Il est écrit : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. J’arrive à ce qui fait le sujet de tes lettres et je te réponds : Je n’adhère point aux ariens; bien plus, je frappe cette hérésie d’anathème; je n’écrirai point contre Athanase lequel a été déclaré innocent par moi, par l’Eglise romaine, bien plus, par tout un concile. Toi-même, après avoir pris connaissance de ses affaires, tu as fait venir cet homme auprès de toi, et tu lui as accordé de rentrer avec honneur dans sa patrie et dans son Eglise. Quelle est la cause du grand changement qui s’est opéré dans ton esprit ? Ses ennemis d’aujourd’hui sont les mêmes qu’autrefois; leurs insinuations contre Iui sont les mêmes, et ils n’osent les proférer en sa présence. Ils les répandaient déjà, lorsqu’ils vinrent au concile; et lorsque moi-même, je leur demandai des preuves, ils ne purent en donner, comme je l’ai rapporté ci-dessus. S’ils en avaient eu à donner, ils ne se fussent pas enfuis aussi honteusement. Qui t’a amené, après un temps si long, à oublier tes lettres et tes paroles? Arrête-toi, je t’en prie, et ne donne pas ta confiance à des hommes méchants, de peur de partager leur culpabilité. Ce que tu leur accordes maintenant, tu en rendras compte au jour du jugement. Ils veulent blesser leur adversaire par ton entremise ; ils veulent que tu sois l’instrument de leur malice ; ils entreprennent de répandre, avec ton secours, une exécrable hérésie dans l’Eglise. Un homme prudent ne doit pas s’exposer à un danger évident pour le plaisir des autres. Arrête-toi donc, Constantius, je t’en prie, et consens à suivre mes conseils. Mon devoir est de t’écrire ; le tien de ne pas mépriser mes avis. » L’empereur exila Osius qui était centenaire lorsqu’il écrivit cette lettre. Il l’envoya seul à Sirmium, loin de sa patrie. Osius, centenaire affaibli acceptera, à force, de signer le second symbole de Sirmium que nous verrons dans quelques instants, et de recevoir Ursace et Valens, deux évêques ariens, disciples d’Arius et proches conseillers de l’empereur. Mais il ne condamna jamais Athanase et dans son testament il jette à nouveau l’anathème contre l’arianisme.

Athanase fuit au désert


Restait Athanase. L’empereur trouva plus simple de faire mourir l’évêque d’Alexandrie, probablement pour éviter un soulèvement populaire. Mais Athanase refusait de quitter la ville, malgré les pressions civiles. En 356, le préfet fit encercler une église où Athanase célébrait un office nocturne, avec près de 5000 soldats. Ceux-ci firent défoncer les portes et entrèrent provoquant un chaos indescriptible. Athanase exhortait la foule à prier, mais devant les dizaines de morts et de blessés que causa l’assaut de la police, les partisans d’Athanase le firent sortir contre son gré et le cachèrent. L’empereur ordonna à tout Alexandrie de chercher et de dénoncer Athanase. Toutes les églises orthodoxes furent fermées. On chercha le métropolite partout. De nombreuses personnes perdirent la vie dans cette chasse à l’homme. Il semble qu’Athanase changea de multiple fois de lieu, et envoya de nombreuses lettres pour entretenir la flamme nicéenne de ses fidèles. Les orthodoxes n’avaient plus d’églises. Ils se réunirent dans les cimetières. La police les traqua jusque dans ces lieux. Avec une certaine naïveté, Athanase crut dans un premier temps à des débordements de la police mais non à la volonté de l’empereur. Les femmes attachées à des poteaux en feu. Les vieillards bastonnés, les hommes flagellés jusqu’à la mort, tout ceci Athanase ne pouvait pas croire que cela était voulu par l’empereur. Il chercha donc à se rendre chez lui pour lui parler et plaider sa cause. Mais il apprit que sa tête avait été mise à prix. Il retourna donc se cacher dans le désert égyptien.
Libère signera également un document montrant son accord avec le second symbole de Sirmium afin de pouvoir regagner Rome. Félix, bien qu’étant resté toujours sur des positions orthodoxes ayant très peu de partisans se voyait dans l’obligation de se retirer pour laisser revenir Libère.

Les trois tendances face à l’orthodoxie


J’ai parlé à deux reprises du second symbole de Sirmium. Voyons comment ce symbole a été rédigé, et ce qu’il contient. Il faut d’abord comprendre que le camp des anti-nicéens, des adversaires de l’orthodoxie véritable n’était pas un front uni. Ce camp était divisé en trois grandes factions plus ou moins rivales. Les spécialistes de la patristique appellent ainsi ces factions que nous qualifions rapidement d’ariennes : les eusébiens, les anoméens et les semi-ariens. Tous n’étaient pas d’accord entre eux. Une seule chose les unissaient : le refus du omoousios défendu bec et ongles par Athanase. Marcel d’Ancyre et Photin avaient jetés quelques malentendus, même auprès de nicéens convaincus, mais qui avaient finis par considérer que le terme « omoousios » présentait des dangers. Il faut se souvenir qu’à cette époque ousia, le terme grec pour nature, et hypostase, le terme grec pour personne n’ont pas encore reçus leurs définitions dogmatiques finales. Certains utilisent ousia pour hypostase, et vice-versa. C’est pourquoi on trouve longtemps chez les semi-ariens, quelqu’un comme saint Cyrille de Jérusalem. L’arianisme classique, orthodoxe si j’ose dire, n’avait finalement plus que deux partisans à cette époque : Aetius et Eunome. Aetius, diacre de Léontius d’Antioche, chargé de la catéchèse avait Eunome pour disciple. Aétius était un grand érudit, spécialiste d’Aristote, et connaissait la médecine. Eunome, était cappadocien, avait également une grande érudition et fut même nommé évêque. Leur enseignement était ouvertement et cliniquement arien : le Père et le Fils n’étaient pas de la même nature. Les deux étaient tout à fait distincts et le Fils avait été créé par le Père. Eunome conquit une influence certaine sur ce parti arien, et les gens qui le suivirent furent nommé anoméens, ou eunoméens. L’approche d’Aetius et d’Eunome était d’appliquer des règles de logiques et de raisonnement rationnels sans prendre en compte l’Ecriture ni l’enseignement hérité des apôtres. La dialectique remplaçait la tradition. Le problème qui était insoluble pour leur esprit est d’être de la même nature tout en pouvant être engendré ou inengendré. SI le Fils est engendré, alors il ne peut être de même nature que l’inengendré. Une substance engendrée et inengendrée était pour eux un illogisme et une impiété. Aétius écrivit quelque trois cents dissertations logiques sur ces problématiques. Eunomius fit de nombreux commentaires de l’Ecriture pour venir appuyer leur théologie. Le cœur de la théologie eunoméenne est que l’essence de Dieu est d’être inengendré. Dieu est d’une simplicité absolue et le Père et le Fils sont anomios, c’est-à-dire dissemblables. Un des points faibles de cette théologie est que la volonté divine, volonté qui se distingue par la création du Fils, vient rompre cette simplicité absolue. Le Père crée le Fils, puis le Fils créé le Saint-Esprit puis le monde. Une des conséquences les plus étonnantes de cette simplicité divine, était qu’Aetius comme Eunome affirmaient connaître parfaitement Dieu. Aétius disait : « je connais Dieu aussi bien que je me connais moi-même ». Les Pères ont beaucoup réfuté cette sottise. Saint Jean Chrysostome a laissé cinq homélies sur l’incompréhensibilité divine. On peut donc dire que les eunoméens sont les plus ariens de tous ces ariens.
Ensuite venaient les eusébiens, parfois appelés omoïousiens, car ils voulaient substituer au omoousios un omoïousios. Le terme ressemblait énormément, mais le i ajouté transformait le sens. Omoousios signifiait « de même substance », omoiousios signifiait « de semblable substance ». Nous avions vu avec les 27 anathèmes que leur système était intellectuellement et logiquement bancale : le Fils venait de la substance du Père, mais n’avait pas la même substance que le Père. C’était simplement semblable. Cela était absurde, et même Aetius le démontrait.
Les semi-ariens, comme je l’avais dit étaient plutôt des gens gênés par les possibilités de sabellianisme ou de subordinatianisme issus des termes ousia et hypostasis.
Ce sont ces trois groupes très hétérogènes qui se réunissent à nouveau pour faire avancer la situation à Sirmium en 357. Les évêques furent exclusivement orientaux. Il en sortit ce qui resta comme la seconde formule de Sirmium. Elle est célèbre car Libère et Osius l’ont signé sous la contrainte impériale. Nous l’avons grâce à Saint Hilaire, sous forme latine. Le passage le plus intéressant de cette seconde formule est le suivant : « Nous croyons au Fils unique Jésus-Christ, le Seigneur notre rédempteur, engendré du Père avant tous les temps. On ne doit, en aucune manière, enseigner qu’il existe deux Dieux ; mais comme l’omoousios et l’omoiousios répugnent à quelques-uns, qu’on n’en fasse plus mention et que personne ne les enseigne, parce qu’ils ne sont pas contenus dans la sainte Ecriture et dépassent l’intelligence de l’homme; personne, ainsi que le dit Isaïe(LIII,8), ne peut raconter la naissance du Fils. Il est indubitable que le Père est plus grand, que le Père surpasse le Fils en honneur, en dignité, en magnificence, en majesté, et par le fait même de son nom de Père; c’est ce que le Fils dit lui-même dans saint Jean (xiv, 28) : « Celui qui m’a envoyé est plus grand que moi. » Chacun sait que cette doctrine est catholique : il y a deux personnes, celle du Père et celle du Fils; le Père est plus grand, et le Fils lui est soumis avec toutes les choses que le Père a données au Fils. Le Saint-Esprit est par le Fils, et il est venu conformément à ce qui était prédit afin d’instruire les apôtres et tous les fidèles, de les élever, de les sanctifier. ». Hilaire, l’Athanase de l’occident considère ce symbole comme un blasphème. Probablement peu au courant des circonstances qui amenèrent Osius et Libère à signer ce symbole, Hilaire les condamna durement.

Après cela, la situation en Gaule devint également terrible. Les partisans ariens de l’empereur arguaient du rattachement de Libère et d’Ossius au second symbole de Sirmium. Ils envoyèrent ce symbole à tous les évêques des Gaules en demandant leur ralliement à la formule. Le but était donc de remplacer le Credo de Nicée par ce nouveau Credo de Sirmium. L’évêque d’Agen, Phaebadius adressa un courrier à tous ses homologues gaulois, d’une façon qui marque un caractère bien trempé et une habileté dialectique implacable : « Si je n’étais témoin de la subtilité diabolique avec laquelle on donne à l’hérésie les apparences de la vraie foi, et à la vraie foi les apparences de l’hérésie, je ne parlerais pas, très-chers frères, de ces écrits qui nous sont parvenus récemment. Il m’eût suffi de conserver ma foi pure au fond de ma conscience, et il m’eût semblé plus sage de mettre ma propre foi à l’abri que de discuter sur des opinions étrangères. « Mais puisqu’il faut se faire hérétique, si on veut être appelé catholique; et puisqu’on ne peut cependant être vrai catholique qu’en rejetant l’hérésie, je suis obligé d’écrire ce livre afin de mettre à découvert ce venin diabolique qui s’enveloppe sous des dehors modestes et religieux, afin de faire bien comprendre le mal que recèlent ces paroles, simples en apparence. Quand le mensonge sera dévoilé, la vérité pourra enfin se dilater et respirer à l’aise. » Il rentre ensuite dans les détails théologiques. Puis il termine la lettre sur un dilemme logique imparable, ainsi que le rapporte le Père Guettée : « Ou bien Osius s’est trompé pendant quatre-vingt-dix ans de sa vie, pendant lesquels il fut sincèrement catholique; ou il s’est trompé seulement en admettant la formule de Sirmium. S’il s’est trompé pendant quatre-vingt-dix ans, son opinion n’est évidemment d’aucun poids ». Il organisa et présida un concile pour répondre à la demande de l’empereur. Le concile envoya une fin de non-recevoir à l’empereur avec cette formule cinglante et tellement orthodoxe : « Nous ne jugeons pas de la foi par les personnes; mais des personnes par la foi ». Le concile condamna officiellement le second symbole de Sirmium. Les ariens se réunirent à Antioche, puis à Ancyre et enfin à nouveau à Sirmium pour composer un troisième symbole dont il pensait qu’il pourrait faire l’unanimité et ramener les évêques gaulois à la raison. Cette réunion peut être qualifiée de second grand concile de Sirmium.

Le symbole de Sirmium


C’est l’étude de ce symbole et sa réception qui est à l’origine des conciles de Rimini en occident et de Seleucie pour l’orient, en 359. Commençons par donner ce troisième symbole de Sirmium : « Nous croyons en un seul et vrai Dieu, Père Tout Puissant, créateur et fondateur de toutes choses; et en un Fils, unique, lequel, avant tous les siècles, avant tout commencement, avant tout temps intelligible, avant toute idée compréhensible, a été engendré de Dieu sans passion ; par lequel les siècles ont été établis et toutes choses ont été faites : Il a été seul engendré, seul de seul, Dieu de Dieu, semblable (omoion) au Père qui l’a engendré, selon les Ecritures; personne n’a connu sa génération, si ce n’est le Père qui l’a engendré. Nous savons que ce Fils unique de Dieu, avec l’assentiment du Père, est venu du ciel sur la terre pour abolir le péché; qu’il est né de la vierge Marie; qu’il a vécu avec ses disciples; qu’il a accompli sa mission selon la volonté du Père ; qu’il a été crucifié et qu’il est mort; qu’il est descendu aux enfers, où il fit ce qu’il avait à y régler; que les portiers des enfers tremblèrent à son aspect. Il ressuscita le troisième jour, et vécut avec ses disciples. Après quarante jours accomplis, il monta aux cieux où il est assis à la droite du Père. Au dernier jour, il viendra dans la gloire du Père pour distribuer à chacun le prix de ses œuvres. Nous croyons aussi au Saint-Esprit que le Fils unique de Dieu, Jésus-Christ, a promis d’envoyer au genre humain comme consolateur et avocat, selon qu’il est écrit : Je vais à mon Père et je le prierai; et il vous enverra un autre consolateur : l’Esprit de vérité. Celui-ci recevra de moi, et il vous instruira et vous inspirera toutes choses. ». Ce symbole marque la victoire des anoméens sur les semi-ariens. Le mot omoousios fut donc abandonné. Dans les coulisses il y eut de virulents débats sur l’égalité de nature du Père et du Fils, mais le symbole utilise un adroit silence quant à la question. Le symbole ne dit rien d’hérétique, mais c’est son positionnement contre le symbole de Nicée qui fait qu’il est inacceptable.

Le concile de Rimini


A Rimini, se tenait le concile occidental. Valens et Ursace, les deux ariens notoires étaient présents, pour faire avancer l’agenda arien de l’empereur. Les évêques gaulois vinrent dans un état d’esprit très particulier. Ils refusèrent tout argent de l’empereur pour les frais du voyage. Nous avons tous ces détails par Sulpice Sévère. Seuls trois évêques bretons ne voulurent pas imposer une charge à d’autres évêques. Ursace et Valens, malgré la présence de 80 évêques du parti arien se heurtèrent donc à une résistance nicéenne majoritaire tout à fait admirable. Les évêques de Rimini rejetèrent le symbole de Sirmium sans ambiguïté et se réunirent sur la déclaration suivante :
« Quoique les blasphèmes d’Arius aient été condamnés précédemment, ils étaient restés obscurs, et l’on avait oublié qu’il eût blasphémé. Mais, par la grâce de Dieu, il est arrivé que, nous étant assemblés à Rimini, cette hérésie pestilentielle a reparu. C’est pourquoi, avec ses blasphèmes, nous condamnons toutes les hérésies anciennes qui se sont élevées précédemment contre la catholique et apostolique tradition, comme elles ont été condamnées par les anciens conciles en divers lieux. »
« Nous anathématisons ceux qui disent que le Fils de Dieu est venu du néant, et d’une autre substance, et qu’il n’est pas né de Dieu le Père, vrai Dieu de vrai Dieu. »
« Si quelqu’un dit que le Père et le Fils sont deux Dieux, c’est-à-dire deux principes innés, et ne confesse pas que le Père et le Fils ont la même divinité, qu’il soit anathème ! »
« Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu est créature et qu’il a été fait, qu’il soit anathème ! »
« Si quelqu’un dit que le Père lui-même est né de la vierge Marie, et que le Père et le Fils sont la même chose, qu’il soit anathème ! - »
« Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu a pris son commencement de Marie, et qu’il y eut un temps où le Fils n’était pas encore, qu’il soit anathème ! »
« Si quelqu’un dit que le Fils n’est pas né du Père véritablement et d’une manière inénarrable, mais qu’il a été son Fils adoptif, qu’il soit anathème ! »
« Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu n’a été qu’un pur homme, né dans le temps, et ne professe pas qu’il est né de Dieu le Père avant tous les siècles, qu’il soit anathème! »
« Si quelqu’un dit que le Père, le Fils et le Saint Esprit ne sont qu’une personne, ou sont trois substances séparées, qu’il soit anathème ! »
« Si quelqu’un dit que le Fils a été avant tous les siècles, mais non avant tout temps, afin de lui assigner une époque, qu’il soit anathème ! »
« Si quelqu’un dit que toutes choses n’ont pas été créées par le Verbe, mais sans lui ou avant lui, qu’il soit anathème ! »
« S’il existe d’autres blasphèmes, soit d’Arius, soit de tout autre, nous les anathématisons également. »

Le Père Guettée nous précise : « Après que les membres du concile, excepté les ariens nommés ci-dessus, eurent signé ces anathèmes, Graecianus, évêque de Calles en Italie, se leva et dit : « Très-chers frères, le concile catholique a eu autant de patience qu’il était convenable d’en avoir, et s’est montré une assemblée pleine de charité envers Ursace, Valens, Germinius, Caïus et Auxentius qui ont troublé toutes les Eglises en changeant si souvent de doctrine, et qui s’efforcent encore de faire pénétrer dans les esprits des chrétiens leurs opinions hérétiques. Ils veulent, en effet, renverser les décisions prises à Nicée contre l’hérésie d’Arius et les autres. Ils nous ont apporté une nouvelle formule de foi écrite par eux, et qu’il ne nous était pas permis d’accepter. Il y a longtemps que nous les connaissions comme hérétiques; aujourd’hui, en leur présence, nous devons les condamner de vive voix et déclarer que nous ne les admettons pas à notre communion. Déclarez ouvertement ce que vous décidez et signez-le. »

La majorité des évêques, majorité nicéenne se rangea naturellement à ce texte. Mais la minorité non nicéenne se sépara et alla alors célébrer dans un autre lieu. Les évêques du concile de Rimini se voyaient donc coupés en deux groupes. Chaque groupe envoya des émissaires à l’empereur pour expliquer sa position. L’empereur, entra dans une grande colère et n’accepta de recevoir que les délégués du parti arien et refusa d’entendre les nicéens. Il intima l’ordre aux nicéens de séjourner dans la ville d’Andrinople, à l’actuelle Edirne en Turquie, jusqu’à son retour, et partit faire la guerre aux perses. Il laissa les pleins pouvoirs ecclésiastiques à Ursace et Valens en attendant. Ceux-ci firent transférer les délégués nicéens dans le ville de Nice en Thrace, ville au nom très proche de Nicée. Le but des ariens était de se servir de la confusion sur le nom de la ville pour faire accepter ici un nouveau crédo et le faire passer pour le symbole de Nicée. Ils mentirent aux évêques nicéens de Rimini en leur faisant croire que le concile de Séleucie de son côté avait abandonné toute notion relative à l’ousia, à la nature divine. Ceux-ci, sous diverses pressions, pressés de rentrés dans leurs diocèses respectifs, signent le 10 octobre 359. Ils obtiennent la possibilité de retourner à Rimini avec Ursace et Valens pour faire signer ceux qui sont restés bloqués là-bas. D’abord réticents, les évêques de Rimini furent eux aussi trompés par un savant mélange de menaces et de rhétorique. La théologie d’empire devenait la suivante : le Fils était semblable au Père. Les nicéens conciliants comme les ariens souples pouvaient s’y retrouver. Tous étaient minés par les conditions de semi-exil. Ils avaient bien compris qu’ils ne pourraient pas repartir sans donner leur accord avec la formule. Les orthodoxes de Rimini fondirent à vingt évêques, emmenés par le bouillonnant Phaebedius d’Agen. Valens utilisa une ultime ruse pour avoir raison de lui. Il accepta d’ajouter une condamnation d’Arius, une condamnation de l’arianisme et demanda simplement l’ajout de cette mention « Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu est créature comme les autres créatures, qu’il soit anathème! ». La ruse de Valens résidait dans le « comme les autres ». Un arien pouvait voir le Fils comme une créature dans cette phrase. Une créature différente des autres, tandis qu’un nicéen comprendrait qu’il n’était pas créature. Tous les évêques signèrent et purent rentrer chez eux. Une délégation arienne partit rendre compte à l’empereur. Un courrier fut envoyé au concile de Séleucie que nous allons évoquer maintenant.

Concile de Séleucie


Sa composition était beaucoup plus arienne. Il réunissait en Turquie, dans la capitale de l’isaurie, les évêques lybiens, égyptiens, antiochiens principalement. D’après saint Hilaire ils se répartissaient de la façon suivante : cent cinq évêques qu’on qualifiera de semi-ariens ou homoiousiens (dont saint Cyrille de Jérusalem), une quarantaine d’eunoméens dont le principal était Acace de Césarée de Palestine et enfin un tout petit noyau de nicéens, principalement des égyptiens fidèles à Athanase. Hilaire lui-même, exilé en orient, était présent à ce concile, et c’est ainsi qu’il témoigne. Il était exilé depuis 4 ans mais fut tout de même convié au concile. Inconnu mais précédé d’une grande réputation, il témoigna de sa foi et fut reçu à l’unanimité à la communion, bien que professant une orthodoxie nicéenne sans ambiguïté. Hilaire rapporte avoir voulu communiquer avec les semi-ariens, tablant sur une problématique de vocabulaire. Le concile ne fut pas que le lieu de discussion sur le symbole de Sirmium. Il fut également l’occasion de régler d’autres soucis, tels que la lutte ente Acace et Cyrille, les deux évêques de la terre sainte, rivaux et très différents sur le plan théologique.

Le concile s’ouvrit le 27 septembre 359. Le premier sujet fut celui de la foi. Acace demanda à ce que le symbole de Nicée fut rejeté au profit du symbole de Sirmium. Il proclama que le Fils n’était pas de même nature que le Père. Il scandalisa ainsi les semi-ariens qui s’écrièrent : « le Fils est de Dieu, c’est-à-dire de la substance de Dieu ». Certains proposèrent d’en revenir alors au symbole d’Antioche dont j’ai parlé dans un exposé précédent. Ce symbole n’était pas assez arien à leur goût, et Acace et ses partisans décidèrent de partir. Les semi-ariens signèrent le symbole d’Antioche. Les documents en notre possession ne permettent pas de savoir si Hilaire et les nicéens ont signés également. Les fonctionnaires impériaux demandèrent aux anoméens de revenir mais Acace refusait si Cyrille de Jérusalem était toujours présent. Les débats durèrent plusieurs jours au milieu de ce genre de petites perfidies, d’entrée de l’un et de retour de l’autre. Un échange retrace à lui tout seul la controverse qui anime depuis l’Eglise, entre les modernes et les conservateurs. Acace déclara : « Puisqu’on a déjà si souvent donné des symboles différents de celui de Nicée, il a le droit d’en donner un lui aussi. » (il ici désigne bien évidemment le concile). Eleuse de Cyzique répondit : « Le concile n’est pas réuni pour approuver une nouvelle foi, mais pour confirmer celle des Pères. ». Le Concile de Séleucie fut un concile agité. Par exemple, Cyrille de Jérusalem profita d’une courte absence d’Acace pour le déposer et faire élire un évêque à sa place. Acace, fort du soutien du légat de l’empereur fit exiler son « successeur ». Comme pour Rimini, le concile envoya une délégation de 10 évêques afin de présenter les conclusions. La réputation d’agitation du concile les précéda et l’empereur les reçut de façon très hostile, s’emportant contre les évêques, en déposant certains.