texte original

τὸ δὲ Ἄργος τοῦτον τὸν χρόνον προεῖχε ἅπασι τῶν ἐν τῇ νῦν Ἑλλάδι καλεομένῃ χωρῇ. ἀπικομένους δὲ τούς Φοίνικας ἐς δὴ τὸ Ἄργος τοῦτο διατίθεσθαι τὸν φόρτον. πέμπτῃ δὲ ἢ ἕκτῃ ἡμέρῃ ἀπ᾽ ἧς ἀπίκοντο, ἐξεμπολημένων σφι σχεδόν πάντων, ἐλθεῖν ἐπὶ τὴν θάλασσαν γυναῖκας ἄλλας τε πολλάς καὶ δὴ καὶ τοῦ βασιλέος θυγατέρα: τὸ δέ οἱ οὔνομα εἶναι, κατὰ τὠυτὸ τὸ καὶ Ἕλληνές λέγουσι, Ἰοῦν τὴν Ἰνάχου: ταύτας στάσας κατά πρύμνην τῆς νεὸς ὠνέεσθαι τῶν φορτίων τῶν σφι ἦν θυμός μάλιστα: καὶ τοὺς Φοίνικας διακελευσαμένους ὁρμῆσαι ἐπ᾽ αὐτάς. τὰς μὲν δὴ πλεῦνας τῶν γυναικῶν ἀποφυγεῖν, τὴν δὲ Ἰοῦν σὺν ἄλλῃσι ἁρπασθῆναι. ἐσβαλομένους δὲ ἐς τὴν νέα οἴχεσθαι ἀποπλέοντας ἐπ᾽ Αἰγύπτου.

traduction proposée

Argos était à cette époque d’importance dans tous les domaines de ce qui s’appelle maintenant Hellas. Les phéniciens arrivèrent à Argos et y disposèrent leur cargo. Le cinquième ou sixième jour après leur arrivée, après avoir pratiquement tout vendu, vinrent sur le rivage de nombreuses femmes, dont la fille du roi, qu’ils (les perses) – ainsi que les grecs – appellent Io, fille d’Inachus. Tandis qu’à l’arrière (du navire) ils marchandaient ce qui leur plaisait, les phéniciens s’incitèrent mutuellement à les attaquer. La plupart des femmes s’échappèrent à part Io et quelques femmes qui furent capturées et jetées dans le navire qui quitta l’Egypte.



Commentaire/Analyse

Ceci est la description par Hérodote du premier des trois enlèvements relatés dans son histoire : celui de Io par les phéniciens. Nous verrons dans les billets suivants les enlèvements de Europe et Médée par les grecs et enfin Hélène par les troyens. Le troisième est le plus connu puisqu’il a servi de prétexte à la fameuse guerre de Troie.

Il semble ici intéressant de faire une précision sur la discipline historique, qui est très logiquement bâtie sur une impossibilité. En cela je prolonge la réflexion entamée dans le premier billet qui lui était consacrée. En effet, l’historien travaille sur des documents à partir desquels il établit un ensemble d’observations, de conclusions. Cette histoire d’Hérodote fait partie des documents qui servent de base aux historiens aujourd’hui. C’est à partir de ce qu’a écrit Hérodote que d’autres aujourd’hui peuvent décrire les grands moments de l’histoire de l’antiquité. Mais ceci n’est pas un document classique d’historien : ce n’est pas une pièce administrative, comptable, artistique, qui va servir à illustrer une démonstration historique. C’est un document historique : le premier document qui retrace l’histoire. Sauf que Herodote ne travaille pas du tout à la façon des historiens modernes. Il ne produit pas de pièces. Il n’a pas de documentation qui lui serve de base. Ou en tout cas, s’il en a une, il n’en fait pas état. Herodote aujourd’hui, ne serait pas accepté par le petit monde des historiens. Et pourtant il sert de bases à des travaux historiques.

Cela remet-il en cause toute la science historique ? Pas le moins du monde, à partir du moment où l’on sait ce qu’est l’histoire. C’est une science basée principalement sur de la recherche documentaire. Ici Hérodote est davantage un chroniqueur racontant ses voyages qu’un historien au sens strict du terme. Il a peut-être tout inventé. Peut-être son œuvre est-elle totalement fictionnelle ? Le plus probable est qu’elle mélange le vrai et le faux, de façon intentionnelle et de façon involontaire. Un travers des gens aujourd’hui est de considérer cette science historique humaine comme une science dure. Ainsi certains se permettent des affirmations définitives du genre « le Christ n’a jamais existé » ou autres sottises du genre. Du simple point de vue documentaire, le Christ est la personne la mieux attestée de toute l’antiquité. Ainsi, nier son existence historique est absolument délirant. Pourquoi ? Et bien, si le Christ n’a pas existé, alors que nous avons des milliers de documents le concernant, alors qui a existé dans l’antiquité ? Il ne reste plus personne… Ainsi disparaissent Alexandre le Grand, Jules César, moins attestés que le Christ. Hérodote nous parle de l’enlèvement de Io par les phéniciens. Est-ce vrai ? Nul moyen de le savoir. On peut garder le doute à l’esprit, mais on peut surtout tomber sous le charme de cette formidable histoire antique. Peut-être fausse, mais tellement passionnante…