Patrologie grecque

Saint Clément de Rome : première aux corinthiens - chapitre 8

Texte original (dans la patrologie de Migne) :

Οἱ λειτουργοὶ τῆς χάριτος τοῦ θεοῦ διὰ πνεύματος ἁγίου περὶ μετανοίας ἐλάλησαν. καὶ αὐτὸς δὲ ὁ δεσπότης τῶν ἁπάντων περὶ μετανοίας ἐλάλησεν μετὰ ὅρκου· Ζῶ γὰρ ἐγώ, λέγει κύριος, οὐ βούλομαι τὸν θάνατον τοῦ ἁμαρτωλοῦ ὡς τὴν μετάνοιαν, προστιθεὶς καὶ γνώμην ἀγαθήν· Μετανοήσατε, οἶκος Ἰσραήλ, ἀπό τῆς ἀνομίας ὑμῶν· εἶπον τοῖς υἱοῖς τοῦ λαοῦ μου. Ἐὰν ὦσιν αἱ ἁμαρτίαι ὑμῶν ἀπὸ τῆς γῆς ἕως τοῦ οὐρανοῦ καὶ ἐὰν ὦσιν πυρρότεραι κόκκου καὶ μελανώτεραι σάκκου, και ἐπιστραφῆτε πρός με ἐξ ὅλης τῆς καρδίας καὶ εἴπητε· Πάτερ· ἐπακούσομαι ὑμῶν ὡς λαοῦ ἁγίου. καὶ ἐν ἑτέρῳ τόπῳ λέγει οὕτως· Λούσασθε καὶ καθαροὶ γένεσθε, ἀφέλεσθε τὰς πονηρίας ἀπὸ τῶν ψυχῶν ὑμῶν ἀπέναντι τῶν ὀφθαλμῶν μου· παύσασθε ἀπὸ τῶν πονηριῶν ὑμῶν, μάθετε καλὸν ποιεῖν, ἐκζητήσατε κρίσιν, ῥύσασθε ἀδικούμενον, κρίνατε ὀρφανῷ καὶ δικαιώσατε χήρα· καὶ δεῦτε καὶ διελεγχθῶμεν, λέγει κύριος· καὶ ἐὰν ὦσιν αἱ ἁμαρτίαι ὑμῶν ὡς φοινικοῦν, ὡς χιόνα λευκανῶ· ἐὰν δὲ ὦσιν ὡς κόκκινον, ὡς ἔριον λευκανῶ· καὶ ἐὰν θέλητε καὶ εἰσακούσητέ μου, τὰ ἀγαθὰ τῆς γῆς φάγεσθε· ἐὰν δὲ μὴ θέλητε μηδὲ εἰσακούσητέ μου, μάχαιρα ὑμᾶς κατέδεται· τὸ γὰρ στόμα κυρίου ἐλάλησεν ταῦτα. πάντας οὖν τοὺς ἀγαπητοὺς αὐτοῦ βουλόμενος μετανοίας μετασχεῖν ἐστήριξεν τῷ παντοκρατορικῷ βουλήματι αὐτοῦ.

Traduction fluide

Les liturges de la grâce de Dieu parlent de la metanoia par le Saint-Esprit ; Et le maître de toute-chose, concernant la metanoia, a déclaré ceci au travers d’un serment : « je suis vivant! dit le Seigneur, l'Éternel, ce que je désire, ce n'est pas que le méchant meure, c'est qu'il change de conduite et qu'il vive. » (Ez 33:11). Il y a ajoute ce jugement de bonté : « repens-toi maison d’Israël de tes iniquités » (Ez 18:30). Dis aux enfants de mon peuple : Si tes péchés vont de la terre jusqu’au ciel, qu’ils sont plus rouges que le cramoisi, plus sombre que le sac de toile, et que vous revenez vers moi de tout votre cœur, et dites « Père ! », je vous écouterai comme un peuple saint. Et à un autre endroit : « Lavez-vous, purifiez-vous, Otez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions; Cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, Protégez l'opprimé; Faites droit à l'orphelin, Défendez la veuve. Venez et plaidons! dit l'Éternel. Si vos péchés sont comme le cramoisi, ils deviendront blancs comme la neige; S'ils sont rouges comme la pourpre, ils deviendront comme la laine. Si vous avez de la bonne volonté et si vous êtes dociles, Vous mangerez les meilleures productions du pays; Mais si vous résistez et si vous êtes rebelles, Vous serez dévorés par le glaive, Car la bouche de l'Éternel a parlé.» (Is 1:16-20). Il a établi cela, désirant que ses bien-aimés participent à la metanoia.




Commentaire/Analyse : La metanoia et les citations des Pères



Dans les textes français, ce que j’ai choisi délibérément de ne pas traduire, et de simplement rendre en alphabet latin par « metanoia », est le plus souvent rendu par repentir, repentance. Par-là, j’ai voulu rendre au concept patristique et biblique, toute sa force. De la même façon que nous nous sommes habitués aux paroles de Jésus, que nous ne sommes plus stupéfaits, estomaqués par le sermon sur la montagne, nous lisons le mot de repentir sans plus trop y faire attention. Peut-être que le rendre en grec permettra de le remettre à l’honneur et lui donner un petit coup de neuf, afin de lui rendre sa vigueur, sa radicalité, sa folie.

On voit déjà que la metanoia est profondément ancrée dans la Bible. Clément envoie ici un déluge de citations des prophètes pour montrer que cette metanoia est ardemment attendue par Dieu. La première citation, provenant d’Ezekiel 18 donne déjà cette dichotomie violente et impérieuse : Dieu est vivant et le pécheur est sur la voie de la mort. Mais Dieu veut que le pécheur retourne à la vie divine. Son objet n’est pas celui du juge qui tient absolument à ce que les lois soient observées. Si la justice divine était appliquée sur terre, chacun crierait à l’injustice… jusqu’à ce qu’elle le concerne directement. Et cette miséricorde infinie prendrait alors du sens. Mais quand elle s’adresse à autrui, nous ne voyons chez le juge que laxisme et faiblesse. Les deux citations d’Isaïe appuient le point. On comprend bien, qu’à partir du moment où la metanoia est enclenchée, finalement, Dieu fait table rase du passé. Peu importe ce qui a été fait. L’image est très frappante : si chaque acte d’accusation, placé sur une feuille de papiers, était placé l’un au-dessus de l’autre, et que la pile de ces actes montait jusqu’au ciel, Dieu pourrait encore pardonner. Dans un tribunal normal, on ne trouverait rien à redire devant un tel cas de récidives, vis-à-vis d’une peine capitale, ou tout du moins une perpétuité véritable.

Mais, alors qu’est-ce que cette metanoia ? Les juifs ont le terme de Téchouva qui revient au même au sens conceptuel : il s’agit de retour complet, de changement absolu. Le terme repentir à quelque chose visuellement d’un peu désespérant : on inverse la pente. Mais si on a glissé bien bas, on se doute que la pente inverse va être une remontée difficile, comme cycliste dans un col de montagne. La metanoia, telle que montrée par Clément ici a un caractère immédiat. Il faut dire « Père » à Dieu. Facile me direz-vous !!! Mais il ne s’agit pas prononcer le mot magique comme pour obtenir à nouveau le droit de pêcher. Dire et prononcer ce n’est pas la même chose. Ici, ce que Dieu attend c’est la prise de conscience qui accompagne le mot « Père ». Je ne suis pas Dieu. Je ne suis pas tout puissant. Je ne suis pas omniscient. Je suis dans une relation totale de dépendance. Je dois obéissance. Je dois reconnaître mes limites. Si le « Père » contient tout cela, alors Dieu ne retient plus la culpabilité liée aux fautes passées. C’est inouï quand on y pense. Le pouvoir de la metanoïa est la libre réponse de l’homme à la grâce divine. C’est inouï.

Intéressons nous maintenant aux citations que fait saint Clément. Si nous prenons la première qu’il fait, qui est tirée d’Ezekiel 33 :11, la voici selon ses mots : Ζῶ γὰρ ἐγώ, λέγει κύριος, οὐ βούλομαι τὸν θάνατον τοῦ ἁμαρτωλοῦ ὡς τὴν μετάνοιαν, προστιθεὶς καὶ γνώμην ἀγαθήν·

Tandis que la citation exacte d’après le texte grec de la LXX est : ζῶ ἐγώ, τάδε λέγει Κύριος, οὐ βούλομαι τὸν θάνατον τοῦ ἀσεβοῦς ὡς τὸ ἀποστρέψαι τὸν ἀσεβῆ ἀπὸ τῆς ὁδοῦ αὐτοῦ καὶ ζῆν αὐτόν.

C’est très proche, mais ce n’est pas rigoureusement la même chose. Comment expliquer cette différence ? Les théories entourant les citations patristiques sont nombreuses lorsque, comme ici, la citation diverge. Il peut tout d’abord s’agir d’une erreur. Les Pères sont des hommes, et ne sont pas infaillibles. Ils ne disposaient pas d’ordinateurs ou de toutes les facilités de la technologie. Clément peut aussi avoir cité une variation mineure de la LXX, relative à un texte que nous n’avons pas. Je propose ici une troisième possibilité. La paraphrase, ou plutôt la variation consciente. En musique, pour prendre une image, il s’agit de reprendre un thème connu, familier à l’oreille de l’auditeur, tout en le personnalisant pour faire partir celui-ci vers quelque chose de nouveau, variation qui permettra d’ailleurs de mettre l’accent sur quelque chose d’important. On remarque que le concept de metanoia (μετάνοια en grec) est présent dans les deux textes, mais le terme, le mot clé metanoia est bel et bien présent seulement chez Clément. La conviction que je souhaite défendre ici, est que Clément connaissait parfaitement le texte d’Ezekiel, mais qu’il l’a sciemment modifié pour introduire le mot metanoia afin que les corinthiens reçoivent un message on ne peut plus clair. Nous sommes ici à un niveau de maîtrise du biblique qui est juste colossal.