Patristique (Dogmatique de Macaire Boulgakov) : l'immutabilité du Symbole de Nicée-Constantinople
Théologie Dogmatique - Macaire Boulgakov
Introduction - Tome 1
De l’idée que nous avons offerte des dogmes chrétiens, ressort naturellement la divinité de leur origine à tous. Ainsi personne n’a le droit d’en augmenter ou d’en diminuer le nombre, ni de les changer ou de les altérer en quoi que ce soit : tout ce qu’il a plu à Dieu d’en révéler au commencement doit être maintenu tant que subsistera le christianisme. Cependant quoique invariables dans la révélation même, soit pour leur nombre soit pour leur nature, les dogmes de la foi doivent être développés dans l’Eglise, comme ils le sont, en effet, par rapport aux croyants.
Du moment même où les hommes commencèrent à s’approprier les dogmes enseignés dans la révélation et à les faire descendre au niveau de leurs conceptions individuelles, ces vérités saintes durent se représenter diversement aux différents individus (il en est ainsi de toute vérité qui devient la propriété de la pensée humaine) ; il dut inévitablement se manifester, et il se manifesta, en effet diverses opinions, divers doutes à l’endroit des dogmes, même différentes altérations de ces dogmes, ou des hérésies volontaires et involontaires. Pour préserver les fidèles de tant d’incertitudes, pour leur montrer à quoi et de quelle manière ils devaient croire, appuyés sur la révélation, l’Eglise leur proposa dès le principe, suivant la tradition des Saints Apôtres eux-mêmes, des modèles abrégés ou des symboles de foi (1). Là, en peu de mots, étaient exposés dans leur ensemble tous les dogmes fondamentaux du christianisme, et chaque article avait une double portée : d’un côté il montrait la vérité de la révélation, que les fidèles devaient admettre comme dogme de foi ; et, de l’autre, il les préservait de telle hérésie contre laquelle il était dirigé (2). Il en fut ainsi pendant les trois premiers siècles du christianisme. Il n’y avait pas alors dans l’Eglise un symbole unique ; il y en avait plusieurs, identiques pour l’esprit, mais différents quant à la lettre (3). Ils renfermaient presque tous certaines particularités, dirigées contre telle ou telle erreur qui avait surgi dans les lieux où ils étaient en usage (4). L’un de ces symboles est resté jusqu’à présent en grande considération dans l’Eglise orthodoxe : c’est celui de Saint Grégoire le Thaumaturge, qui expose contre Sabellius et Paul de Samosate, la doctrine des attributs et de l’égalité parfaite de chacune des personnes de la très Sainte-Trinité (5).
A partir du quatrième siècle, lors de l’apparition des hérésies funestes d’Arius, puis de Macédonius, et quand les eurent commencé à faire abus des mots employés jusque-là pour exprimer les vérités de la foi, et à publier leurs propres symboles à l’exemple des orthodoxes ; alors l’Eglise se vit dans la nécessité, non seulement de rédiger et de publier, pour servir de règle à tous les fidèles, un symbole bien déterminé, invariable même quant à la lettre, mais aussi de fixer le sens des termes sacrés, et en général la langue théologique de l’Eglise (6). Tel fut le symbole qui, composé au premier concile œcuménique, puis complété dans le deuxième, dit de Nicée et Constantinople, devint, par des décrets du troisième concile œcuménique et des suivants, un mode invariable de foi pour tout le monde chrétien et pour tous les siècles (7). Ce symbole contient la même doctrine que les symboles antérieurs, avec cette différence pourtant, que certains articles de la foi y sont exposés avec plus de précision et de détails contre de nouvelles hérésies, particulièrement l’article concernant la divinité de la seconde personne de la sainte Trinité, contre Arius, Photius et Appolinaire et l’article sur la divinité de de la troisième personne, contre Macédonius (8).
Le siècle suivant vit paraître l’hérésie des monophysites, et le quatrième concile œcuménique (an 451) rédigea, sur les deux natures réunies dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, une profession de foi qui n’est qu’une explication plus précise du sens énoncé dans le troisième article du symbole de Nicée et Constantinople (9). A la même époque à peu près parut le symbole dit d’Athanase, qui, outre la doctrine de la sainte Trinité, renferme l’exposition la plus exacte de celle de l’union des deux natures en Notre-Seigneur Jésus-Christ : ce symbole, bien que non rédigé en concile œcuménique, est admis néanmoins par toute l’Eglise et fort estimé. Ensuite parut l’hérésie des monothélites, et le sixième concile œcuménique (an 681) statua, sur les deux volontés et les deux actions en Notre-Seigneur, une nouvelle profession de foi, qui peut être envisagée comme un développement de celle de Chalcédoine. Vint enfin l’hérésie des iconoclastes et le septième concile œcuménique (an 787) dressa le statut de foi relatif à l’adoration des images. Toutes ces décisions en matière de foi, du quatrième, du sixième et du septième concile œcuménique, forment le complément nécessaire du symbole de Nicée et Constantinople, bien qu’elles n’y aient pas été introduites en vertu des décisions de ces mêmes conciles sur l’inviolabilité et l’immutabilité de ce symbole.
- Pour les différentes significations du mot symbole (σύμβολον) et pour l’origine des symboles dans l’Eglise chrétienne, voir l’Hist. Biblique de Philarète, métrop. de Moscou, 599 à 601, 4ème ed. et dans Switzer, Thesaurus Eccles. le mot symbole : σύμβολον
- Ainsi par exemple ces paroles des anciens symboles : « Je crois au… tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, » prémunissait les orthodoxes contre les erreurs des Simoniens et des Ménandriens, hérétiques qui parurent déjà au temps des apôtres, et qui enseignaient que le monde fut créé non par Dieu mais par les anges. La doctrine des mêmes symboles sur la conception de Jésus-Christ par l’Esprit-Saint et sa naissance de la Vierge Marie, les garantissait des erreurs d’autres hérétiques du temps : des Cérinthiens et des Ebionites, qui enseignaient que Jésus-Christ avait été conçu et était né comme les autres hommes, et qu’il était véritablement le fils de Joseph et de Marie.
- On connait jusqu’à ce jour les anciens symboles des église de Jérusalem, de Césarée, d’Alexandrie, d’Antioche, de Rome et d’Aquilée. Ils se trouvent aussi dans les écrits des docteurs particuliers de l’époque : Irénée, Tertullien, Cyprien, Grégoire le Thaumaturge, et dans les constitutions apostoliques. Ils diffèrent en étendue, ainsi que dans certains termes, et dans l’ordre d’exposition de quelques articles. Voir les symboles mêmes chez Bingham, Orig. Eccl. Lib X chap 3 et 4
- Par exemple dans le symbole de l’Eglise d’Aquilée, à ces paroles : Je crois en Dieu, Père tout-puissant sont ajoutées ces paroles : invisible et impassible (invisibilem et impassibilem). C’est probablement contre les Sabelliens et les Patripatiens. « il faut savoir » dit Ruffin, qui appartenait lui-même à cette église d’Aquilée, « que ces deux mots ne se trouvent pas dans le symbole de l’Eglise de Rome, et sont ajoutés chez nous contre l’hérésie des Sabelliens, connue sous le nom d’hérésie des patripatiens, enseignant que le Père (Pater) lui-même est né de la Vierge, qu’il est devenu visible et qu’il a souffert (passus est) dans la chair. Ce fut apparemment en réfutation de cette erreur que nos aïeux ajoutèrent ces mots, c’est-à-dire qu’ils nommèrent le Père invisible et impassible » (Ruffin in expos. Symboli.). Ce fut sans doute aussi ce qui fit insérer par la suite, dans quelques anciens symboles les articles de la descente de Jésus-Christ aux enfers, de la communion des saints, bien que nous ignorions l’époque de leur insertion. (Apud Bingham op. cit. lib. X cap 8 § 7).
- Nous ne disons rien ici du symbole dit apostolique, qui fut en usage pendant les trois premiers siècles, surtout dans l’Eglise romaine, et qui jusqu’à ce jour jouit d’une haute estime en Occident ; Nous n’en disons rien parce que l’Eglise orthodoxe d’Orient n’employa ce symbole, ni dans les trois premiers siècles où elle en avait d’autres, ni à aucune époque postérieure ; que, par conséquent elle ne le considéra jamais dans un sens rigoureux comme un symbole apostolique, et ne le préféra jamais aux autres anciens symboles de la foi, qui tous, suivant la tradition, pouvait également tirer leur origine des Apôtres, sinon pour la lettre, au moins pour l’esprit et le contenu (Hist. Bibl. de Philarète, métropolite de Moscou, p600 4è édition) : Ήμειϛ ουτε εχομεν ουτε ειδομεν συμβολον των Αποστολων : telle fut au concile de Florence, la réponse des représentants de l’Eglise orthodoxe aux Latins, qui en montrant leur symbole disait qu’il provenait des Apôtres eux-mêmes.
- Il est pourtant à remarquer que la formation de la langue théologique de l’Eglise commença en partie même avant le concile œcuménique de Nicée : dans quelques conciles provinciaux, comme celui d’Antioche contre Paul de Samosate, lequel inséra dans son symbole le mot consubstantiel, ομοούσιος, et dans les écrits de certains docteurs, Denys d’Alexandrie, par exemple qui emploie le même mot (in Epist. ad Dyonis. Roman.), et Théophile d’Antioche chez qui nous trouvons pour la première fois le mot Trinité, Τριας, (Ad Autolic. II n. 15) ; qu’elle se continua même après le concile de Nicée, à mesure que paraissent les nouvelles hérésies, contre lesquelles il importa de fixer avec plus de précision la doctrine orthodoxe, et d’établir par conséquent plus exactement la valeur des expressions mêmes. Les principaux mots dont se composa ainsi la langue théologique de l’Eglise, et qui ont un sens rigoureusement fixé, sont dans de la doctrine sur Dieu, qu’il est unique dans la Trinité, unique par essence, triple en personnes ou hypostases ; que l’attribut personnel du Père, c’est de n’être pas né ; celui du Fils, d’être né du Père ; Celui du Saint-Esprit, de procéder du Père ; - dans l’exposition de la doctrine concernant le Christ notre sauveur : qu’il s’est incarné ou fait homme ; qu’en lui il n’y qu’une personne, mais qu’il y a deux natures, la nature divine et la nature humaine, réunies, sans fusion, invariablement, indivisiblement, inséparablement, etc.
- IIIème concile œcuménique, déc. 7, VIème conc. oecu. déc. 1 et 2. L’opinion sur ce point du concile de Chalcédoine, IVème oecum. Voir Lanney concil. T. IV p 567 ; quant à la décision du concile de Constantinople (en 867), qui passa longtemps en Orient pour le VIIIème oecum. Voir Lect. du dim. IV année p 400. – Comp. Intro. A la Théol. etc p 563-570, Saint Pétersbourg, 1847. Depuis le deuxième et surtout le troisième concile œcuménique, on commença à veiller rigoureusement à ce qu’il ne s’employât, pour exprimer les vérités fondamentales de la foi, que des termes consacrés par l’Eglise et jamais des expressions arbitraires ; et le VIème concile œcuménique, après avoir examiné l’affaire des ci-devant patriarches de Constantinople, Serge, Pyrre et Paul, et de quelques autres qui pensaient comme eux, les accusa particulièrement d’avoir introduit dans la langue théologique de nouvelles expressions contraires à la foi orthodoxe (vide apud Eabbeum, concil. t. VI p610-611), et confirma de nouveau l’obligation, non seulement de ne prendre les dogmes des Saints-Pères que dans le sens adopté par eux, mais encore de ne les expliquer que dans les mêmes termes qu’eux, et de ne rien introduire de nouveau. (Apud Labb. ibid p 1028).
- Il est à remarquer qu’en exposant plus en détail le symbole du premier concile œcuménique, les Pères du deuxième s’appliquèrent à faire surtout usage, dans ce travail, des mots et des phrases de l’Ecriture Sainte, et que les quatre derniers articles qui ne se trouvaient pas dans le symbole de Nicée, ils les tirèrent d’anciens symboles en usage dans l’Eglise antérieurement à celui de Nicée.
- Nous ne pouvons passer ici sous silence quelque chose de fort important pour nous dans le cas actuel, savoir l’apostrophe de ce concile œcuménique à l’empereur Marcien. Là, les Pères exposent en détail que le développement graduel des dogmes dans l’Eglise est indispensable, surtout quand surgissent des hérésies ; que l’Eglise est toujours en droit de le donner, et que, dans ce cas, en développant les dogmes, elle n’y ajoute rien de nouveau (Apud Labb, Concil, t. IV p 819-828).
Commentaire/Analyse
Première précision indispensable, qui sera peut-être superflue pour beaucoup : le terme symbole ici n’est pas à prendre au sens liturgique ou cosmique. Le terme de symbole correspond au Credo. Il s’agit du texte qui synthétise la foi. Nous faisons donc référence ici au texte du credo de Nicée Constantinople.
Un des grands enseignements de toute cette analyse très érudite de Macaire Boulgakov est de montrer comme les symboles furent divers jusqu’au quatrième siècle, et comment ensuite tout s’est cristallisé autour du Symbole de Nicée-Constantinople. Cela correspond-il au fantasme de beaucoup de dénigreurs du Christianisme ? Ce fantasme correspond à la théorie suivante : à une liberté et à une pluralité positive avant Constantin, on voit apparaître une faction dominante qui se revendique orthodoxe et qui sclérose le christianisme dans une religion d’état bien différente.
Et bien cette théorie ne résiste pas à l’analyse des textes patristiques et à ce que Macaire Boulgakov appelle ici la capacité de l’Eglise de “fixer le sens des termes sacrés et en général la langue théologique de l’Eglise”. Cela correspond-il à une forme de sclérose ? Pas le moins du monde. Ce qu’il faut bien comprendre et qu’oublient systématiquement tous les détracteurs, est qu’avant la liberté religieuse datant de 313, l’Eglise n’est pas matériellement en mesure de fixer la langue. Pourquoi ? Parce qu’elle est persécutée. Au total sept persécutions, avec certes des périodes d’acalmie, vont la frapper entre sa création historique et l’an 313 qui marque la fin des persécutions.
Durant cette période il parait évident qu’il est compliqué pour les évêques et les personnes impliquées dans ce processus de fixer une langue, des concepts, de comparer des symboles. Les moyens de communications ne sont pas les mêmes que pour nous aujourd’hui, les moyens de transport non plus, et les persécutions n’aident pas, ce qu’on imagine aisément. Ce n’est donc qu’à partir de 313 et l’édit de Milan sur la tolérance religieuse que va pouvoir réellement commencer ce processus de fixation linguistique. Les conciles vont favoriser ce processus : financés par l’empire romain, ils permettent la réunion d’évêques. Cette liberté religieuse chrétienne va avoir un effet collatéral important : elle va aussi favoriser l’émergence des hérésies. Avant, les romains tuaient tout ce qu’ils considéraient vaguement chrétiens : orthodoxes comme hérétiques dans l’orbite chrétienne.
313 va donc entraîner une flambée de l’hérésie, et va aussi permettre à l’Eglise de se structurer et de fixer sa langue. Le concile de Nicée est finalement la première fois que peuvent se rencontrer, sans danger des gens à l’orthodoxie hors de tout reproche et de tout soupçon, qui vont pouvoir participer activement à ce processus. Comme le concile est oecuménique, le texte l’est également. C’est aussi simple que cela. Issu de deux synodes oecuméniques, le symbole de Nicée Constantinople a l’autorité suprême en terme de symbole de foi. C’est parce qu’il a tout dit, que les autres synodes vont s’y référer de façon constante. On voit ici une superbe illustration de l’humilité des Pères pour les conciles suivants qui n’y changent rien, et qui finalement ne vont faire que des rappels à l’orthodoxie via la langue de ce symbole.
La langue du symbole est très intéressante à cause du fameux homoousios ομοούσιος (consubstantiel). Les Pères nous disent en l’utilisant que la langue théologique n’est pas exclusivement biblique. En effet, pour décrire en un seul terme la relation de substance entre le Père et le Fils, ils ont utilisé ce terme ομοούσιος dans le Symbole de Nicée-Constantinople, terme que l’on ne retrouve pas dans la Bible. La Bible fait de la théologie d’une autre façon. La Bible n’explique pas les concepts, elle les mets en scène. C’est tout à fait différent. Mais c’est parce qu’elle mets en scène les concepts que l’on peut ensuite les expliquer et les nommer. Le biblique est sous-jacent.