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De la faveur (bienveillance), de la gratitude et de l'ingratitude

(1) Les deux premières de ces passions sont des affections de l'âme qui nous portent à rendre ou à faire du bien à notre prochain. Je dis rendre, lorsque nous faisons du bien à notre tour à celui qui nous en a fait le premier ; je dis faire, lorsque c'est nous-mêmes qui avons obtenu quelque bien.

(2) Quoique la plupart des hommes pensent que ces passions sont bonnes, néanmoins je ne crains pas de dire qu'elles ne conviennent pas à l’homme parfait, car l'homme parfait est poussé seulement par la nécessité, sans l'influence de nulle autre cause, à venir en aide à son voisin : c'est pourquoi il se voit d'autant plus obligé envers les scélérats, qu’il découvre en eux plus de misère

(3) L'ingratitude est le mépris ou le rejet de toute gratitude, comme l'impudence de toute pudeur ; et cela sans un motif quelconque de raison, mais uniquement par avidité, ou par excès d'amour de soi : c’est pourquoi elle n'a pas de place dans l’homme parfait.



Commentaire/Analyse




On croit ici entendre Spinoza nous paraphraser le Christ : “Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les publicains aussi n’agissent-ils pas de même ? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire? Les païens aussi n’agissent-ils pas de même ? Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait.” (Mt 5:46-48). Spinoza nous parle ici d’une nécessité tandis que le Christ nous appelle à agir comme Dieu, à être, selon nos possibilités, des icônes du Très-Haut.

Ce qui est intéressant ici, est que Spinoza qui n’aborde absolument pas ce que devient l’homme après la mort, ce qui est probablement un non sujet pour lui. Il agit “gratuitement”. En cela il peut ressembler à un chrétien accompli, mais ressembler seulement. Le Chrétien au contraire, a une connaissance très précise de l’enjeu. Même si nous ne savons pas exactement comment sera l’enfer ou le paradis, nous savons tout de même que nous n’avons pas du tout envie d’aller en enfer et que nous avons plutôt intérêt et envie d’aller au paradis. Est-ce à dire que le chrétien est finalement intéressé, ce qui serait inférieur à l’attitude un peu héroïque de Spinoza ?

L’écueil ici pour le chrétien est de devenir un pharisien du bien : de montrer ostensiblement à Dieu que nous sommes bons lorsque nous sommes bons. De tourner la tête vers le ciel à chaque fois que nous avons donné à un mendiant, comme pour lui dire : tu as bien noté hein ? On a l’impression que Spinoza est plus proche de quelque chose de vrai ici. Sauf que cette comparaison des deux actes de bien est totalement abstraite et théorique. Certes le chrétien peut se dire qu’il agit bien lorsqu’il agit bien, mais si c’est un vrai chrétien, une chose doit l’habiter, chose qui le rendra plus proche de Dieu que Spinoza : il devra penser, que comme n’étant pas le Christ, ce qu’il fera sera toujours incomplet, imparfait, insuffisant, et que plutôt que de se réjouir de son acte, il ne devrait ne se réjouir que d’une seule chose, qui n’est en rien liée à lui : Dieu le sauvera malgré ce manque. Se satisfaire de ce que l’on fait est très certainement quelque chose qui est lié à toutes les religions basées sur les mérites, c’est à dire toutes les fausses religion. La seule source de satisfaction doit être extérieure à nous-même : cette certitude que Dieu va combler le manque, l’absence. Mais alors quelle nécessité nous pousse ? La nécessité d’agir demeure, puisque c’est un commandement du Christ. Mais le chrétien sérieux saura que ce qu’il a fait est bien insuffisant, là où le spinoziste pourra s’aveugler d’avoir fait le bien. il n’y a de bien qu’en Dieu.