Les grands saints de l'Eglise : La Mère de Dieu - partie dogmatique
Introduction
La Mère de Dieu, avec les icônes, est probablement ce qui peut le plus paraître étranger pour quelqu’un venant du protestantisme. S’humilier devant une icône de la toute sainte et demander son intercession, sera probablement le comble de cette démarche, qui est pourtant tout à fait orthodoxe. Il y a une naïveté protestante, parfois, à considérer que n’importe quelle jeune femme juive de l’antiquité aurait fait l’affaire. Je vous propose de rentrer dans le mystère marial selon les quatre étapes suivantes : Marie selon la dogmatique orthodoxe, selon la Bible, selon la liturgie et enfin dans l’histoire de l’Eglise.
Marie dans la dogmatique
Ce sera probablement la partie la plus difficile, la plus complexe, la plus abstraite. Mais il faut poser les bases. Cela permettra d’éviter les écueils d’une lecture personnelle au niveau biblique, d’une fausse compréhension liturgique et historique.
Marie comme Theotokos
Notre dogmatique de référence est bien évidemment la dogmatique de Macaire Boulgakov. Elle parle en premier lieu de Marie dans le chapitre sur l’union hypostatique, comme celle qui a donné la chair au Christ. Saint Basile écrivait au moine Ursique « Je vous conjure… de renoncer à l’idée absurde … que Dieu lui-même s’est changé en chair et n’a pas pris le mélange d’Adam de la Vierge Marie, mais s’est transformé en matière par sa propre Divinité. Cette absurde doctrine est bien facile à réfuter; mais , comme elle est évidemment un blasphème , je pense que , pour quiconque craint Dieu, il suffit de la rappeler; car , s’il s’est transformé, Il s’est aussi changé. Mais gardons - nous bien de dire cela et même de le penser , car Dieu a dit Lui- même : « Je suis le Seigneur et je ne change pas. » ( Mal ., III , 6. ) ». (Macaire Boulgakov, Théologie Dogmatique T2, p100).
Un peu plus loin il cite Saint Jean Damascène : « Le Verbe de Dieu ne s’unit point à une chair qui aurait existé déjà d’elle -même; mais, s’étant logé dans le sein de la Vierge sans limitation de sa propre hypostase , Il se forma du pur sang de la toujours Vierge Marie une chair animée par une âme raisonnable et pensante ; et , ayant pris les commencements de la formation de l’homme , le Verbe lui -même se fit hypostase de la chair , de sorte que celle - ci devint en même temps et chair, et chair de Dieu le Verbe, et chair animée pensante et raisonnable ( 2 ) . » (Macaire Boulgakov, Théologie Dogmatique T2, p103)
Plus loin, Macaire Boulgakov développe un élément dogmatique fondamental : Marie en tant que « Mère de Dieu », Theotokos en grec, qui est son titre officiel. Macaire Boulgakov écrit : « la conséquence de l’union hypostatique des deux natures en Jésus-Christ par rapport à la sainte Vierge, sa mère, c’est qu’elle est véritablement Mère de Dieu (prof orth cat 111). En effet, elle engendra Celui qui, étant vrai Dieu au moment même de sa conception dans son sein, prit la nature humaine dans l’unité de son hypostase, en sorte qu’il fut, dans l’Incarnation même, et qu’Il reste, après l’Incarnation, constamment et invariablement personne divine, tel qu’il était avant tous les siècles, jusqu’à l’Incarnation… Elle engendra le Seigneur Jésus , non point selon sa divinité , mais selon l’humanité , qui , néanmoins , dès le moment de son incarnation , s’unit indivisiblement et hypostatiquement en Lui avec sa divinité, et dès ce moment fut déifiée par Lui ( 2 ) et devint propre à sa personne divine ; de façon que et la conception , et le séjour dans le sein de la Vierge pendant la grossesse , et l’enfantement appartiennent proprement à sa personne divine . Ou autrement encore : Elle enfanta non un simple homme, mais le vrai Dieu , et non Dieu simplement, mais Dieu en chair, n’ayant point apporté son corps du ciel même, ni passé par Elle comme par un conduit , mais ayant pris d’Elle une chair consubstantielle à la nôtre , qui reçut en Lui-même l’hypostase ( 3 ) » . (Macaire Boulgakov, Théologie Dogmatique T2, p121).
Macaire Boulgakov voit quatre raisons pour l’orthodoxie du terme Theotokos à Marie avant Ephese.
- Raison 1 : L’ange Gabriel lui annonce «tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très Haut » (Lc 1 :32). Si elle est donc élue pour enfanter le Fils de Dieu, il n’est que justice qu’elle soit appelée Mère de Dieu.
- Raison 2 : L’exclamation d’Elisabeth lorsqu’elle voit Marie enceinte la visiter : « Comment m'est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne auprès de moi? » (Lc 1 :43). On notera qu’Elisabeth fait cette déclaration stupéfiante en étant remplie du Saint-Esprit.
- Raison 3 : saint Paul le dit avec ses mots « Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme, né sous la loi » (Ga 4 :4). Mais cela revient au même.
- Raison 4 : enfin il cite les textes patristiques les plus antiques qui font référence à cela. Il cite notamment Origène qui donnait ce titre à Marie de façon assez classique. C’est un titre qui servit également dans les débats contre Paul de Samosate. Bref, c’était un usage de l’Eglise, bien avant le concile d’Ephèse. Ce titre est utilisé par saint Athanase d’Alexandrie, saint Ephrem le Syrien, saint Cyrille de Jérusalem, saint Grégoire le Théologien et saint Grégoire de Nysse sont les Pères les plus marquants avant Ephèse à appeler Marie ainsi.
Puis ensuite, naturellement, le troisième concile œcuménique, solennise le titre de Theotokos pour Marie. Saint Cyrille d’Alexandrie l’exprime par cet anathème célèbre : « si quelqu’un ne confesse pas que l’Emmanuel est vrai Dieu et par conséquent la sainte Vierge la Mère de Dieu, puisqu’Elle enfanta selon la chair le Verbe de Dieu fait chair, qu’il soit anathème ». Il s’agit du premier des douze anathèmes qui permirent de fixer la formulation orthodoxe sur ce problème précis.
Théodoret de Cyr précise : « Le premier degré des innovations de Nestorius, c’était l’idée qu’il ne fallait pas reconnaitre la sainte Vierge, de laquelle Dieu le Verbe emprunta sa chair et naquit selon la chair, comme Mère de Dieu , mais seulement comme mère de Christ, tandis que les anciens , même les plus anciens prédicateurs de la vraie foi, selon la tradition apostolique , enseignaient à nommer et à confesser la mère du Seigneur Mère de Dieu ( 2) . » (Macaire Boulgakov, Théologie Dogmatique T2, p125). La nuance introduite par Nestorius, le patriarche de Constantinople, était qu’il fallait dire non pas Theotokos mais Christotokos. Cela lui semblait absurde de dire que Dieu, source de tout, puisse avoir une mère, qui serait, qui plus est, sa créature. Mais nier le « theotokos » pose deux problèmes : premièrement, cela pose une sorte de coupure entre la nature humaine et la nature divine en Christ. Mais Marie est bien la mère de Dieu dans son incarnation. Second problème : si Marie n’est que la mère de la partie humaine, alors cela veut dire que Jésus devient Dieu en quelque sorte, au long d’un processus d’union. Mais dès le sein de Marie, Jésus était déjà Dieu. L’erreur de Nestorius est de ne pas avoir vu qu’il s’agissait de Dieu dans le monde, dans l’économie de sa création, et pas de façon éternelle et hors du monde. L’incarnation et son articulation avec Marie est un grand mystère, mais nier que Marie soit la Mère du Dieu-homme, de l’incarnation du Verbe de Dieu, c’est ne pas rendre compte de ce qu’il s’est produit.
La sainteté de Marie
Le deuxième point dogmatique à étudier est l’étendue de sa sainteté. « Dès longtemps, déjà avant la création du monde, la Rédemption était décrétée ; mais jusqu’à la très -sainte Vierge Marie , il ne se trouva point de réceptacle vraiment digne pour l’Incarnation ; mais , dès qu’il se fut trouvé , le Seigneur s’incarna. » (Macaire Boulgakov, Théologie Dogmatique T2, p29). Nous verrons après comment ceci se traduit liturgiquement.
Marie perpétuellement vierge
Le troisième point dogmatique est sa virginité perpétuelle. Ceci est connu de l’Eglise par les raisons suivantes : Is 7:14 nous enseigne que c’est une Vierge qui enfante. Elle n’est pas vierge uniquement à la conception, mais aussi à l’enfantement. Et ensuite, c’est la doctrine unanime des Pères de l’Eglise. Macaire Boulgakov affirme qu’il n’en est pas un pour poser une opinion contraire sur ce point précis. Certains hérétiques ont cru voir dans les frères et sœurs de Jésus, d’autres enfants de Marie. Ceci est également contraire à la tradition de l’Eglise. Les enfants en questions étaient les enfants de Joseph, l‘époux de Marie lors d’un premier mariage.
Marie comme sainte à invoquer dans l'intercession
Ensuite il y a un point dogmatique, qui ne concerne pas seulement Marie : l’intercession des saints. Exode 32 :32 montre que chez les vivants on peut prier les uns pour les autres : « Pardonne maintenant leur péché! Sinon, efface-moi de ton livre que tu as écrit. » s’écrie Moïse pour obtenir le pardon de ses frères. Et cela fonctionne : Dieu, qui souhaitait en premier lieu se débarrasser de ce peuple rebelle et ingrat, écoute Moïse. Qu’est-ce qu’une intercession sinon le fait que Dieu « épargne ses enfants coupables en considération des prières de ses bien-aimés qui l’ont véritablement satisfait » ? (Macaire Boulgakov, Théologie Dogmatique T2, p545). L’intercession a pour effet de faire cesser la justice divine au profit de la miséricorde divine.
La Bible nous demande de prier les uns pour les autres. Les exemples les plus illustres nous y appellent. « Frères, priez pour nous » (1 Th 5:25). Saint Jacques nous rappelle dans sa merveilleuse épitre de « Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. La prière fervente du juste peut beaucoup » (Ja 5 :16). La vision orthodoxe est que, déjà, si la prière d’un saint sur terre a un grand effet, combien plus efficace sera leur prière lorsqu’ils auront quitté la terre pour le ciel et qu’ils seront entrés dans une union plus intime avec le Seigneur ? Qui est plus vivante que Marie parmi les saints en mesure d’intercéder en notre faveur ? Macaire Boulgakov place dans sa dogmatique un paragraphe destiné à répondre aux protestants sur ce point précis, qui objectent que l’intercession d’autres médiateurs est une offense au seul et unique vrai médiateur : Jésus-Christ. Voici la réponse orthodoxe à cette affirmation puérile : « A cette objection ordinaire des protestants , que « l’invocation d’autres médiateurs constitue une offense et un mépris pour la personne de notre divin Sauveur, » la Pierre de la Foi répond par les deux observations suivantes : 1 ° « Il n’y a qu’un Médiateur entre Dieu et les hommes, savoir Jésus Christ . C’est donc inutilement que Paul s’adresse à ceux qui habitent la terre , leur demandant de prier pour lui. C’est en vain que l’Apôtre Jacques dit : « Priez l’un pour l’autre . » ( V , 16. ) C’est en vain que vous aussi, nos adversaires , vous vous demandez des prières les uns aux autres et enseignez à les demander . Comme il n’y a qu’un Médiateur, Jésus- Christ, saint Paul , et saint Jacques, et vous -mêmes , vous offensez le Seigneur Jésus et lui témoignez du mépris. Jésus -Christ disait dans l’Évangile : « Ne désirez point qu’on vous appelle rabbi » ou docteurs , « parce que vous n’avez qu’un seul maitre ou docteur et que vous êtes tous frères . N’appelez aussi personne sur la terre votre père , parce que vous n’avez qu’un Père qui est dans les cieux . Et qu’on ne vous appelle point maitres » ou conducteurs, « parce que vous n’avez qu’un maitre » ou conducteur, qui est le Christ . ( Matth . , XXIII , 8. ) Comme il n’y a qu’un seul Maitre , Jésus - Christ ; qu’un seul Conducteur , Christ ; qu’un Père qui est dans les cieux , saint Paul a donc péché en se nommant instituteur des gentils ? Pourquoi vous autres , adversaires , vous appelez - vous ici - bas pères , maitres , instituteurs ? Car vous ne pouvez appeler que père celui qui vous engendra, que maitres ou instituteurs ceux qui vous instruisirent. Dites -nous donc pourquoi vous vous permettez d’enfreindre le commandement de Dieu ! Vous ne sauriez penser ni répondre d’une autre manière que nous , savoir : qu’il y a un seul Père par excellence dans les cieux , un seul Maitre et Conducteur par excellence, Jésus -Christ. C’est de ce seul Père céleste que proviennent tous les pères d’ici -bas ; c’est de ce seul Maitre et Conducteur, Jésus- Christ, que tous les maitres et instituteurs de la terre empruntent la saine doctrine et la vraie instruction . Les pères terrestres sont néanmoins en toute vérité des pères , mais des pères d’un ordre inférieur ; ce sont des pères d’une paternité provenant de l’unique Père qui est dans le ciel . De même aussi les maitres et les instituteurs de la terre sont véritablement des maitres et des instituteurs, mais ils sont d’un ordre inférieur, c’est - à - dire qu’ils empruntent la saine doctrine et l’instruction du Maitre unique, Jésus - Christ . C’est de la même manière aussi que doivent être entendues ces paroles : « Le seul Saint , le seul Seigneur Jésus - Christ . » Mais comment Jésus -Christ serait - il le seul Saint et le seul Seigneur s’il est d’autres saints que l’Écriture qualifie du nom de saints et d’autres seigneurs qu’elle nomme seigneurs ? A cela point d’autre réponse que celle que nous avons donnée plus haut. Jésus-Christ est seul Saint, seul Seigneur, c’est-à dire qu’il est d’une sainteté, d’une souveraineté supérieure, qui n’est primée par personne, ne procède de personne, n’est comparable à personne . Quant aux autres, ils sont saints et seigneurs à un degré fort inférieur et fort éloigné de Jésus-Christ ; ils sont saints et seigneurs d’une sainteté et d’une souveraineté venant d’en haut. De même que le fer rouge ne brûle ni n’enflamme par lui -même, vu que par lui -même il est froid , et qu’il brule et enflamme par l’accession du feu qui lui communique son ardeur, ainsi faut - il comprendre la sainteté et la souveraineté des autres saints et seigneurs . » (p 662-663)
Ainsi, en priant un saint de prier la clémence divine pour nous ou pour nos proches, nous ne faisons que lire le plus logiquement du monde les saintes Ecritures. L’orthodoxie montre ici une compréhension plus riche et plus profonde de ce qu’est la mort et de ce qu’est la sainteté. Saint Cyprien de Carthage écrivait dans sa lettre 56 « prions les uns pour les autres des deux côtés de la mort ». Dieu est le Dieu des vivants et non des morts rappelait le Christ à ceux qui voulaient le perdre. Marie est plus vivante que nous ne pourrons très certainement jamais l’être avant la résurrection finale.
Le prochain billet sera dédié à la Bible et à ce que l’Ecriture nous apprend sur elle.